"Black Metropolis" : Comprendre la ségrégation urbaine d’hier pour mieux penser aujourd’hui

Retour sur la soirée présentation de l'ouvrage
Black Metropolis
© FMSH
Le 20 février 2025, une soirée de discussion exceptionnelle s’est tenue autour de la parution en français de "Black Metropolis. Une ville dans la ville. Chicago (1914-1945), œuvre monumentale de Sinclair Drake et Horace Cayton. Les directrices de traduction Anne Raulin et Danièle Joly, en dialogue avec la journaliste Rokhaya Diallo, ont échangé sur les enjeux de ce texte fondateur et son actualité saisissante.

Publié en 1945, Black Metropolis est une étude approfondie du ghetto noir de Chicago, un espace marqué par l’exclusion mais aussi par une dynamique sociale et culturelle foisonnante. Cette "ville dans la ville" a vu émerger une élite afro-américaine, des institutions solidaires et des luttes politiques essentielles. Pourtant, jusqu'à récemment, l’ouvrage n’avait jamais été traduit en français.

Pourquoi une telle absence ? La sociologie urbaine et les recherches sur la ségrégation raciale aux États-Unis ont irrigué la pensée française, mais Black Metropolis restait dans l’ombre. Or, son analyse minutieuse de la condition afro-américaine et des dynamiques de discrimination structurelle résonne avec les débats contemporains.

Pour traduire ce texte dense, une équipe diversifiée a été constituée, rassemblant des traducteurs et traductrices de différents horizons afin de respecter la pluralité des voix qui composent ce travail collectif. L’un des défis majeurs rencontré par les équipes, résidait dans la transposition de concepts propres au contexte américain, notamment la notion de "race", omniprésente dans le livre mais abordée de manière bien différente en France.

Un laboratoire d’analyse des inégalités urbaines

Au cœur de Black Metropolis se trouve une question centrale : comment une minorité, malgré l’oppression, parvient-elle à créer un espace de résistance et d’émancipation ? Chicago, ville industrielle en pleine expansion au début du XXe siècle, a été le théâtre d’une ségrégation informelle mais redoutablement efficace : contrats immobiliers restrictifs, discriminations à l’emploi, violences raciales... Pourtant, ce ghetto a aussi été le creuset d’une effervescence politique et culturelle, où se sont développées une presse influente, des institutions religieuses puissantes et des réseaux de solidarité permettant d’accéder à des professions libérales ou d’investir la sphère politique.

Les échanges de la soirée ont mis en lumière les parallèles entre cette histoire et les dynamiques actuelles, que ce soit aux États-Unis, où les tensions raciales restent vives, ou en France, où les débats sur la ségrégation urbaine et le racisme structurel peinent encore à s’imposer dans le débat public.

Un livre pour comprendre le présent

Aujourd’hui encore, cet ouvrage éclaire les mécanismes de marginalisation et de lutte pour l’émancipation. Il rappelle que les questions de race et de classe sont indissociables et que la ségrégation, même lorsqu’elle n’est pas inscrite dans la loi, façonne durablement les trajectoires sociales. À l’heure où des mouvements comme Black Lives Matter remettent ces enjeux au centre du débat, la traduction de ce livre permet d’enrichir notre compréhension des injustices passées et présentes.

Une soirée riche en enseignements, qui nous confirme une chose, la lecture de Black Metropolis est plus essentielle que jamais.

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À propos des intervenantes

Anne Raulin est professeure émérite en anthropologie à l’université Paris Nanterre et fondatrice d’AnthropoVilles. Spécialiste des minorités urbaines et des dynamiques mémorielles, elle a mené ses recherches entre la France et les États-Unis. Elle est également à l’initiative de la traduction collective de Notre corps, nous-mêmes.

Danièle Joly est sociologue, professeure émérite à l’université de Warwick et spécialiste des questions d’intégration, de discrimination et d’asile en Europe. Elle a dirigé le Centre for Research in Ethnic Relations et préside aujourd’hui plusieurs instances scientifiques internationales.
 
Rokhaya Diallo est journaliste, autrice et réalisatrice, engagée pour les droits humains. Éditorialiste au Washington Post et au Guardian, elle est aussi chercheuse à l’université Georgetown. Créatrice du podcast Kiffe Ta Race et de l’école W.O.R.D., elle multiplie les initiatives pour démocratiser la parole dans l’espace public.

Published at 3 March 2025