Nouveaux enjeux dans l'espace saharo-sahélien - NESS

Le programme « Nouveaux enjeux dans l'espace saharo-sahélien » (NESS) a été soutenu par la FMSH de 2008 à 2013. Il est dirigé par André Bourgeot, Directeur de recherche émérite au CNRS, anthropologue au parcours atypique.

L'espace géopolitique à appréhender concernait : la Mauritanie, l'Algérie, la Libye, Le Mali, le Niger, le Tchad et  le Soudan.

Cet ensemble saharo-sahélien est un espace écologiquement homogène et culturellement semblable. Il est traversé par de nombreux enjeux, rivalités et conflits internationaux, nationaux et régionaux. Il connait depuis une décennie des transformations sociales, politiques, culturelles et économiques, de grande ampleur.

Dans une profondeur historique d'une dizaine d'années, ces transformations s'inscrivent dans des contextes politiques inédits qui sont :

  • L'apparition cyclique (1916-17; 1963-64; 1990-1995; 2006-2007; 2012-?) des rébellions armées touarègues (Niger et Mali)
  • L'émergence de nouveaux acteurs et organisations politiques exogènes aux visées politico-théologiques incarnés par l'Aqmi (Al Qaïda au Maghreb Islamique),
  • L'existence de réseaux d'acheminement de migrants clandestins et de drogues illicites (cannabis, cocaïne)
  • La présence de richesses minières importantes (pétrole, uranium, or, fer, etc.) génère des compétitions entre les multinationales occidentales et les grandes sociétés nationales.
  • Les « Printemps arabes » et plus particulièrement le récent effondrement de la Jamahiriya libyenne lequel a d'énormes conséquences sur la sous-région .


Ce programme combine d'une manière organique trois types d'approches :

Approche politico-historique


Cet espace saharo-sahélien, où les frontières étatiques sont incontrôlées car difficilement contrôlables, constitue des aires de refuge actif (salafistes d'Al Qaïda au Maghreb Islamique / AQMI), des zones de transit (acheminement de cocaïne et sans doute d’armes), des attributions de concession d'activités extractives (compétition entre multinationales et grandes compagnies pétrolières nationales, algériennes et chinoises), des revendications de nouvelles territorialités (les rébellions touarègues dans des contextes de décentralisation et de déconcentration de l'État), de présence de militaires français (les COS ; Commmandement de Opérations Spéciales
)
.

Sur la base de ces constats, peut-on avancer d'une part l'hypothèse de mise en œuvre de processus radicalement nouveaux de recomposition de zones d'influencedans cette partie de l'Afrique, qui déstabiliserait, à partir de l'extérieur ou à partir de « zones tampons frontalières », les États concernés, c'est-à-dire à partir de la périphérie des territoires sur lesquels ces États sont censés exercer leur souveraineté et leur autorité ?
Peut-on avancer d'autre part l'hypothèse d'un « découpage-maillage » ou d’une « spécialisation d'espaces sahariens territorialisés », placés de factosous l'influence ou le contrôle de groupes autonomes (salafistes, djihadistes, rébellions touarègues, « territoires-concessionarisés », réseaux-itinéraires d'acheminement de  drogues illicites). En d'autres termes, assiste-t-on à de nouvelles formes de « territorialités » internes aux États-Nations concernés qui demeurent partie prenante de cet espace saharo-sahélien extrêmement flexible ? Quelles répartitions spatiales en œuvre ? Quels pouvoirs de l'État central dans ces processus ?

Approche géopolitique (sécurité et développement)


Il convient d'accorder une étude particulière aux activités extractives (pétrole, gaz, uranium), appréhendées dans des dimensions et perspectives comparatives. Cette étude, qui reste à faire, est une des trois composantes organiques du programme.
D'une manière générale, elle s'appuie sur la notion de « malédiction des ressources naturelles » et vise à analyser les singularités des trajectoires nationales ou régionales et la complexité des relations entre les ressources extractives et leurs environnements.
D'une manière comparative et plus spécifique, il s'agira de collecter des éléments permettant de comparer deux pays sahéliens (Tchad et Niger), deux ressources extractives (pétrole et uranium) et deux types d'acteurs (compagnies minières / pétrolières occidentales et chinoises).



Ce questionnement se décline à plusieurs niveaux :

Comment l'environnement est-il évoqué dans les débats autour des questions minières dans les pays considérés ? Quels en sont les débats ? Quelles sont les différences d'approche de cette question entre les multinationales occidentales et les entreprises nationales chinoises ou algériennes ?


Comment les enjeux miniers et leurs dynamiques influencent-ils la géopolitique interne de ces États ? En quoi modifient-ils l'imaginaire du territoire, les identités régionales et les relations avec le pouvoir central ? Les relations entre le pouvoir et le territoire ? Quelles places occupent ces États-Nations dans les stratégies mondiales ou régionales des multinationales minières occidentales ou des sociétés nationales, chinoises ou algériennes, qui y interviennent.

Approche environnementale et juridique


Au même titre que l'anthropologie politique, cette approche se fonde sur une étude de cas qui vise à appréhender les conflits issus des conditions d'accès et d'utilisation des ressources naturelles (pâturages et eaux) par des « groupes ethniques » (Peuls, Arabes et Toubous) aux structures sociales et aux rationalités économiques différentes. Ces groupes se rencontrent, se côtoient et s'opposent dans la circonscription administrative de Diffa (Niger)  extraction de pétrole et la création d'une raffinerie à Zinder (Niger), proche du Nigéria voisin et premier producteur de pétrole en Afrique.
L'approche anthropologique des conflits est centrée ici sur les acteurs. C'est ainsi que le droit abordé en tant que procès inclut une analyse élargie des conflits potentiellement générés par des situations politiques et économiques inédites dans des situations où interviennent des activités extractives.

Quelles sont les éventuelles conséquences de ces activités sur les écosystèmes pâturés ? L'attribution de concession de prospection et d'exploitation minières ampute-t-elle les espaces pâturés (les terrains de parcours) et contribue-t-elle à une dégradation de l'écosystème sous forme de pollution de l'environnement (nappe phréatique et espèces végétales) ?



Quelles sont les conditions d'émergence des conflits « traditionnels » autour des pâturages et des points d'eau combinés à ceux provoqués, le cas échéant, par les activités extractives ?


Quels sont les rôles assurés par les lois nationales et les conventions internationales qui régissent la protection de l'environnement dans ces contextes inédits ? Que deviennent les droits coutumiers et musulmans d'autant que les représentations et les comportements à l'égard des ressources naturelles sont codifiées par la religion musulmane ? On s'interrogera alors sur les rapports que l'islam entretient avec l'écologie.



Ces trois approches s'attachent à cerner et analyser

  • L'émergence de nouveaux pouvoirs locaux assurés par l'apparition de nouveaux acteurs.
  • Les  stratégies de l'État et à l'égard de l'État (rébellions, milices, groupes d'auto défense : les dimensions ethniques des conflits armés)


  • Le rôle des multinationales et des stratégies des États riverains. Répartition des concessions de prospection et d'extraction minières et recensement des sociétés et compagnies intervenantes - Sécuritaire

  • Le rôle, capacités et pouvoirs réels des forces en uniforme (gendarmerie, militaires, douaniers, forestiers) dans la protection des frontières et de l'environnement, dans la lutte contre l'acheminement des drogues illicites drogue, contre le bras armé de l'extrémisme religieux.
  • Les conditions d'application des conventions internationales inter étatiques
 (CEMOC Comité d’état-major opérationnel conjoint)

  • L'islam confrérique. Assiste-t-on à une montée « rigoriste » (non extrémiste) de l'islam qui régirait les comportements des populations concernées ? Quelles sont les activités sociales des associations à caractère religieux (quels sont les pays donateurs) ? Islam « traditionnel » et salafisme : l'influence de l'AQMI dans l'espace saharo-sahélien.

A cet égard, il conviendrait d'attacher une attention particulière aux relations ponctuelles entre l'Aqmi sanctuarisé dans le Timétrine malien et Boko Haram au Nigéria qui s'est engagé dans une « guerre de religions » anti chrétienne. On s'interrogera sur l'éventualité de la mise en oeuvre d'un arc sahélien religieux salafiste et djihadiste les maillons seraient Boko Haram au Nigéria, Aqmi au Mali (et ses zones d'influence et d'intervention au Niger, Algérie, Mauritanie) et les Chaabab somalien . Ces trois mouvements extrémistes ,auxquels il  s'agirait d'insérer l'AQPA du Moyen -Orient ,sinscrivent dans un « l'islam politique » légitimé par l'arrivée au pouvoir d'État par les partis islamiques fondamentalistes en Tunisie, en Egypte et bientôt en Libye.

Les situations à venir obligeront sans doute à infléchir ce programme vers le recueil de données et d'analyses relatives au salafisme et aux mouvements djihadistes.

 

Equipe

André Bourgeot

 

Published at 27 August 2013