L’émergence de nouvelles formes d’action politique dans des sociétés en transformation
Comment les jeunes amateurs de rock ont-ils activement participé aux transitions politiques de la fin du XXe siècle en URSS et en Argentine ? Originaire de Russie, Irina Veselova explore ces problématiques à travers des sources diverses, publiées ou intimes.
Ce projet examine le rôle des jeunes amateurs de rock dans les transformations politiques et sociales survenues au cours des dernières années d’existence de deux régimes autoritaires : l’Union soviétique pendant la période de la perestroïka (1986-1991) et l’Argentine au cours de sa dernière dictature militaire (1980-1983). Dans ces deux pays, les scènes nationales rock ont émergé sous l’influence de la musique de l’Occident, mêlant les expériences locales à des sons et des esthétiques internationales. Le rock est rapidement devenu plus qu’une simple forme de divertissement : ce genre musical a créé des espaces culturels partagés offrant des alternatives au discours officiel. Dans une période durant laquelle l’expression publique était étroitement surveillée, écouter du rock constituait un moyen de façonner son identité, d’explorer une pensée indépendante et d’imaginer d’autres perspectives d’avenir. À mesure que la censure s’est affaiblie et que les régimes ont commencé à perdre du contrôle, les limites entre l’engagement culturel et politique se sont confondues. Les paroles sont devenues plus provocatrices, les concerts plus émotionnellement chargés et le public plus enclin à exprimer des préoccupations politiques.
Si les musiciens de rock ont souvent été au centre de l’attention publique et académique, le public rassemblé autour de leur musique reste étonnamment peu étudié. Je souhaite donc explorer la manière dont les jeunes amateurs de rock – souvent vus par les autorités comme soutenant une idéologie dangereuse – sont devenus des agents du changement dans des moments de transition politique.
Comment le public a-t-il embrassé le rock comme une forme d’expression politique et sociale en URSS et en Argentine pendant les périodes évoquées ? Comment les messages portés par le rock ont-ils façonné leur vision de la guerre, des enjeux sociaux et de l’avenir ?
Dans quelle mesure le rock encourageait-il une expérience d’action politique auprès de ses amateurs ? Et ces derniers prenaient-ils au sérieux le discours politique plus explicite des musiciens de rock ?
«F_ck off. I'm crazy. I hate Stalin.» - text on a jacket
Pour répondre à ces questions, j’analyse à la fois des sources publiées et non publiées. Parmi les sources les plus précieuses se trouvent des journaux intimes, des mémoires, des lettres de jeunes amateurs adressées à des éditeurs de magazines et des entretiens enregistrés avec des personnes du public. Ces sources permettent d’identifier des manifestations de l’action politique des amateurs de rock. En outre, des entretiens avec des participants à ces événements – bien que rétrospectifs – offrent une perspective intéressante dans le cadre de la présente recherche.
D’autres sources (comme des paroles de chanson, des enregistrements de performances, des publications dans des médias et des documents gouvernementaux officiels) permettent de créer un cadre multidimensionnel qui incorpore différents acteurs de ces périodes de transition, offrant un contexte plus global aux événements survenus.
Le projet combine des méthodes issues de l’histoire sociale, de l’anthropologie culturelle et de la musicologie. Une approche comparative permet de repérer des schémas similaires dans les deux régimes différents et d’explorer la manière dont les pratiques culturelles convergent en dépit de contextes distincts. Cette approche fait ainsi passer d’une simple documentation des événements à une compréhension de la manière dont la jeunesse a créé de nouvelles significations politiques à travers des activités culturelles du quotidien.
Article de Pelo magazine, 1982, n°163
Cette recherche renvoie aussi à des préoccupations actuelles. Dans une époque de résurgence des tendances autoritaires et dans laquelle la jeunesse continue à utiliser la culture comme un moyen de traverser des réalités politiques, il est plus essentiel que jamais de comprendre les expériences de cette jeunesse. En Union soviétique et en Argentine, le rock n’a pas produit les mêmes programmes politiques formels, mais il a généré des communautés, des émotions et des idées qui ont contribué à un changement social plus large. En observant la manière dont l’action politique peut croître à travers l’écoute, le partage et l’interprétation d’une culture, ce projet offre de nouvelles perspectives sur la relation complexe qui unit l’art et la politique.
Projet lauréat 2024 du programme « Atlas »
Article paru dans le troisième numéro du Journal de la FMSH.


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