Repenser notre rapport à l’océan

Si les sciences océanographiques et environnementales occupent traditionnellement le devant de la scène dans l’étude des milieux marins, les défis contemporains – gouvernance des espaces maritimes, migrations liées au climat, patrimonialisation de l’océan, représentations culturelles de la mer – appellent une approche interdisciplinaire.

C’est dans ce contexte que la Fondation Maison des Sciences de l’Homme lance en 2025 un ambitieux programme « Océans », destiné à renforcer la présence des sciences humaines et sociales pour une compréhension globale des océans et la construction de solutions durables en matière de conservation et de gouvernance.

L’océan, un régulateur vital et un espace en mutation

Grâce aux progrès considérables de l’océanographie, de la climatologie et de la biologie marine, nous savons aujourd’hui que l’océan, qui couvre 71 % de la surface terrestre et représente 99 % du volume de la biosphère, produit la moitié de l’oxygène que nous respirons et absorbe près d’un tiers du CO2 atmosphérique. Véritable puits de carbone et sanctuaire de biodiversité, il est aussi un régulateur climatique essentiel. Aujourd’hui, les rapports de l’IPBES, du GIEC et des Nations Unies sont sans appel : les changements en cours, irréversibles à court terme, transforment profondément les écosystèmes marins et bouleverseront nos sociétés, qu’elles soient côtières, insulaires ou continentales. Ces constats scientifiques montrent l’urgence d’un changement de regard. Car comprendre l’océan ne peut plus relever des seules sciences fondamentales : il faut aussi interroger les interactions humaines, politiques et culturelles qui façonnent sa transformation.

L’océan, un socio-écosystème à l’ère de l’Anthropocène

L’océan constitue en effet un socio-écosystème complexe au cœur d’enjeux sociétaux majeurs : transition écologique, justice environnementale, gouvernance des ressources communes et adaptation aux changements climatiques. Depuis une vingtaine d’années, un « tournant océanique » s’affirme dans la recherche. Loin d’être pensé comme un simple vide entre les continents, l’océan apparaît désormais comme un acteur à part entière de l’histoire et des cultures humaines. Cette dynamique s’appuie sur une interdisciplinarité croissante — de l’histoire maritime à l’anthropologie, en passant par la littérature et la géographie — et sur une attention accrue aux défis contemporains tels que le changement climatique et la dégradation des milieux marins. Ce mouvement a donné naissance aux Humanités bleues, qui explorent les relations entre humanité et océan en intégrant philosophie, histoire, écologie et études culturelles.

Si ces développements témoignent d’un intérêt croissant des sciences humaines et sociales pour les questions océaniques, ces disciplines restent néanmoins encore peu représentées dans les débats sur l’avenir de l’océan. C’est dans cette perspective que la FMSH lance son programme « Océans », qui vise à soutenir des projets innovants, internationaux et pluridisciplinaires, privilégiant autant que possible les collaborations avec les sciences fondamentales, pour éclairer les interactions complexes entre sociétés et milieux marins à l’ère de l’Anthropocène.

Programme « Océans » : trois axes pour agir

Lancé en 2025, le programme pluriannuel « Océans » est un espace de dialogue, de co-construction et de diffusion des savoirs qui mobilise la richesse des sciences humaines et sociales au service d’une connaissance critique, engagée et interdisciplinaire.

Cette vision programmatique trouve son expression concrète dans l’engagement international de la Fondation. Accréditée par les Nations Unies comme partie prenante de leur 3e conférence sur l’océan (UNOC-3), la FMSH a présenté un manifeste qui souligne l’apport essentiel des sciences humaines et sociales pour atteindre l’Objectif 14 de l’Agenda 2030 : préserver et exploiter durablement les océans, les mers et les ressources marines. Les orientations défendues dans ce manifeste guident directement la structuration du programme « Océans » qui se déploiera autour de trois axes prioritaires :

• financer une recherche interdisciplinaire en créant des ponts entre sciences humaines, sociales, du vivant, de l’environnement pour une compréhension globale des systèmes océaniques
• construire un réseau dynamique, réunissant chercheurs, acteurs économiques, décideurs publics et société civile, afin d’élaborer des solutions concrètes
• diffuser et valoriser les connaissances, les rendant accessibles aux décideurs comme au grand public, pour transformer notre rapport à l’océan

Avec ce programme, la FMSH fait dialoguer l’héritage intellectuel de Fernand Braudel, son fondateur, historien et auteur de la Méditerranée, avec les recherches actuelles sur les océans. L’enjeu ? Observer l’océan dans sa globalité, de ses profondeurs historiques à ses rivages les plus actuels.

« Qu’est-ce que la Méditerranée ? », s’interrogeait Fernand Braudel. « Mille choses à la fois, non pas un paysage, mais d’innombrables paysages, non pas une mer, mais une succession de mers, non pas une civilisation, mais des civilisations entassées les unes sur les autres. [...] Tout cela, parce que la Méditerranée est un très vieux carrefour. Depuis des millénaires tout a conflué vers elle, brouillant, enrichissant son histoire : homme, bêtes, voitures, marchandises, navires, idées, religions, arts de vivre ».

Cette vision systémique et plurielle guide aujourd’hui le programme « Océans ». Comme Fernand Braudel pour la Méditerranée, la FMSH considère l’océan non comme un objet unique, mais comme un système monde complexe où convergent histoires humaines, dynamiques naturelles, enjeux économiques et défis environnementaux.

Ces deux initiatives ont été réalisées avec le soutien de la Fondation Calouste Gulbenkian Paris.

Article paru dans le troisième numéro du Journal de la FMSH.