Dynamiques de l’intime

Dès sa première livraison, Socio annonçait clairement la couleur : il s’agissait de « penser global », de sortir du « nationalisme méthodologique » si justement critiqué par Ulrich Beck, de s’ouvrir au monde, de contribuer, mieux encore et plus qu’à l’internationalisation des sciences humaines et sociales, à leur globalisation. Ce projet ne signifie en aucune façon l’entrée dans un univers intellectuel où il ne s’agirait plus que de proposer des analyses planétaires, et de tenir pour inutiles ou archaïques les travaux ancrés dans des réalités plus limitées, une région, un pays, une localité. Au contraire, il s’agit d’une redéfinition du territoire des sciences humaines et sociales qui constitue à bien des égards un élargissement : « penser global », c’est en fait circuler dans un vaste espace, borné à une extrémité, effectivement, par l’étude de logiques et de phénomènes planétaires, mais à une autre extrémité, par celle de ce qui peut en sembler le plus loin : l’intime. Nous avons jusqu’ici donné la priorité à des approches qui nous ouvraient plutôt au vaste monde et à ses grands problèmes, ce nouveau numéro s’installe à l’autre pôle de notre espace intellectuel – d’où le titre de son dossier principal, préparé par Isabelle Berrebi-Hoffmann et Arnaud Saint-Martin : dynamiques de l’intime. (…)
Ce dossier ne s’enferme donc pas dans une sociologie étroite, dans le seul examen, nécessaire au demeurant, de ce qui se joue dans la sphère de l’intime, il considère cette sphère dans sa relation à la vie sociale et au monde. En ces temps où la politique, décomposée et inadaptée, verse volontiers dans le déballage misérable de la vie personnelle des acteurs les plus en vue, comme si parler de l’intime pouvait exorciser la crise des systèmes politiques, notre dossier aborde en profondeur la question des liens entre vie privée et démocratie, et installe la réflexion au niveau de l’éthique, de la philosophie politique, ou de l’examen concret des pratiques – ce qui devrait intéresser tous ceux que désespèrent l’état actuel des partis et les succès de la pensée réactionnaire.
Socio n’est pas enfermée dans la vie intellectuelle française, aussi riche qu’elle soit, ni dans des perspectives qui nous limiteraient au seul cadre de l’État-nation, aussi passionnantes qu’elles soient. Et Socio n’est pas davantage en rupture avec la tradition des sciences humaines et sociales, au contraire, elle sait y puiser à bonne source, on le verra dans cette livraison avec, notamment, la publication de textes inédits en français de Marianne Weber et de Norbert Elias, ou de l’entretien que nous a donné Amitai Etzioni.
Michel Wieviorka
SOMMAIRE


Ce que la question du genre dit des sociétés


Westkunst, 1981


Le corps du genre

