Planétarité et instrumentalisation neuro-numérique

1er octobre | Le cerveau sans organes : Planétarité, plasticité et écocosmotechnique dans le capitalisme cognitif
Mardi
01
octobre
2024
19:00
20:30
Le cerveau sans organes
Le Saas-Fee Summer Institute of Art à Paris, en collaboration avec la Maison Suger et la Fondation Maison des Sciences de l'Homme, vous convient à une discussion critique autour des enjeux de l'instrumentalisation neuronale à l'ère numérique.

- Horaire modifié : Initialement à 19h30, le début de la conférence a été avancée à 19h -

Actuellement, une transition vers le capitalisme cognitif tardif est en cours, menaçant la plasticité et la variation neuronales du cerveau. La combinaison de l'augmentation du temps passé devant un écran (en particulier après le COVID où les achats en ligne et le streaming ont donné un nouveau sens au terme « accro du canapé »), la montée du techno-optimisme et de l'accélérationnisme d'extrême droite, ainsi que le développement de technologies basées sur les neurones comme ChatGPT, les interfaces cerveau-ordinateur et l'optogénétique, signifient que la technique sera de plus en plus directement et indirectement aux prises avec la matérialité du cerveau. Ensemble, ces éléments ont le potentiel de créer une nouvelle forme de Gestellen, ou dispositif, dans lequel les êtres humains sont déterminés au moyen d’un processus d'instrumentalisation neuronale et numérique. À l'instar des développements antérieurs du colonialisme, on pourrait y voir une nouvelle forme d'extractivisme où, au lieu des matières premières de la terre comme l'or, ce sont les ressources naturelles du cerveau et de l'esprit qui sont en jeu.

Première partie : « Le cerveau technolibéral »

Dans cette conférence intitulée « The Neoliberal Brain » (« Le cerveau technolibéral »), Tiziana Terranova explorera les tensions qui apparaissent lorsque les images neuroscientifiques et neurophilosophiques du cerveau sont mises en relation avec des concepts et des perspectives issus de la théorie critique, tels que la rationalité politique, l'idéologie, l'onto-épistémologie et la sociogenèse. Comme l'a écrit le psychiatre et philosophe politique afro-caribéen Frantz Fanon dans Peau noire, masques blancs (1952), il existe une phylogénie (l’évolution), une ontogénie (le développement) et une sociogénie : nous naissons biologiquement humains, mais nous ne pouvons faire l'expérience de nous-mêmes que dans le contexte de structures sociologiques et linguistiques. Comme l'affirme la philosophe et essayiste jamaïcaine Sylvia Wynter dans Towards the Sociogenic Principle (2001), la sociogenèse est « le principe organisationnel de codage de l'information du critère d'être ou de non-être de chaque culture, qui fonctionne pour activer artificiellement la neurochimie de la voie de la récompense et de la punition, en le faisant dans les termes nécessaires pour instituer les sujets humains en tant que mode d'être et de sentiment de soi spécifique à la culture et donc défini verbalement, bien que mis en œuvre physiologiquement ». C'est encore plus vrai pour le cerveau plastique neuronal en devenir, dans lequel les techniques sociologiques et linguistiques algorithmiques développées par le techno-libéralisme contribuent à créer de nouvelles formes de gouvernement automatisé qui élagueront inévitablement les neurones pendant les périodes sensibles du développement, pour finir par façonner l'architecture du cerveau. Pour le dire autrement il s’agit d'organogénèse exosomatique, telle que décrite par Bernard Stiegler, dans laquelle l’évolution des techniques joue un rôle actif dans le développement d’organes cérébraux nouveaux comme le lobe frontal.

Deuxième partie : « L'IA planétaire et l'atomisation du montage »

La conférence d'Yves Citton, « Planetary AI and the Atomization of Montage » (« L’IA planétaire et l’atomisation du montage »), compare la technique analogique du montage du début du vingtième siècle (telle qu'elle a été élaborée initialement dans les pratiques cinématographiques des cinéastes soviétiques Dziga Vertov et Sergei Eisenstein) et son équivalent numérique et non humain du vingt-et-unième siècle, les transformateurs génératifs pré-entraînés (GPTs). Alors que notre vision classique du montage cinématographique suppose que les éléments montés sont des éléments de « première articulation » dotés de « sens » (plans, scènes, images, phrases, mots, etc.), l'induction statistique sur laquelle opèrent les GPT est basée sur des unités sous-sémantiques/a-signifiantes (les probabilités pour un pixel/une lettre d'être voisin d'un autre pixel/lettre), ce qui conduit à une « atomisation du montage ». Les recommandations algorithmiques jouant un rôle nouveau, GPTs ne se substitue pas tant au rôle classique des « monteurs » qu'il travaille en collaboration et en concurrence avec eux. Dans notre monde contemporain, où le virtuel rivalise avec le réel pour attirer notre attention, nous nous demandons ce que cela signifiera pour la formation de notre mémoire et sa reformulation sous forme de rêves et de visualisations de scénarios. Ces nouvelles formes de médias et de souvenirs prothétiques pourraient-elles représenter un risque important pour notre idéal de vérité, dans la mesure où elles sont mises en jeu dans l'imagination de l'œil de l'esprit utilisé dans les visualisations de scénarios et l'autoréflexion ?

À propos des intervenant.e.s

Tiziana Terranova est professeure d'études culturelles et de médias numériques à l'université de Naples ‘L'Orientale’. Elle est l'auteure de Network Culture: Politics for the Information Age (Pluto Press 2004) ; After the Internet: Digital Networks between Capital and the Common (Semiotext(e), 2022) et de l'ouvrage à paraître : Network Social : Technoliberalism and the Reconfiguration of the Social in the post-Digital Age. Ses recherches sur les technologies numériques se situent à l'intersection des études culturelles et médiatiques, du marxisme post-opéraïste et de la théorie critique. Elle est cofondatrice et membre du Technoculture Research Unit (www.technoculture.it), CRITT (Transnational Technocultures Research Centre), le réseau universitaire libre Euronomade  (www.euronomade.info, et du Critical Computation Bureau (https://recursivecolonialism.com/).

Yves Citton est professeur de littérature et médias à l'Université Paris 8 Vincennes-Saint Denis, membre de l'Institut de France et co-directeur de la revue Multitudes. Il a récemment codirigé avec Enrico Campo le volume Politics of Curiosity.Alternatives to the Attention Economy (Routledge, 2024), après avoir publié Altermodernités des Lumières (Seuil, 2022), Faire avec.Conflits, coalitions, contagions (Les Liens qui Libèrent, 2021), Générations collapsonautes (Seuil, 2020, en collaboration avec Jacopo Rasmi), Mediarchy (Polity Press, 2019), Contre-courants politiques (Fayard, 2018), et The Ecology of Attention (Polity Press, 2016).Ses articles sont en accès libre sur son site www.yvescitton.net.

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