Les espaces de la théorie : topologies et expériences de la pensée

Séminaire International de Sémiotique à Paris | Mercredi 10 mai 2023
Mercredi
10
mai
2023
13:45
17:00
les espace de la théorie, agenda FMSH

Sixième séance du Séminaire International de Sémiotique à Paris 2022-2023

L'objet du séminaire de cette année est de comprendre le circuit entre l’expérience de la pensée, l’acte d’imagination et les espaces d’inscriptions de ces expériences, en considérant que les inscriptions peuvent être elles-mêmes non seulement des fixations d’un processus de pensée, mais aussi des expériences qui élargissent l’imagination et relancent l’expérience. Nous allons tenter de produire une cartographie interdisciplinaire des schématisations de la théorie qui ont été stabilisées dans l’histoire des disciplines citées ainsi que d’investiguer les documents laissés par les différents théoriciens lors de la formulation, reformulation, publication, rectification de ces schématisations.

Intervenants :

  • Massimo Leone (Université de Turin, Université de Shanghai, Fondazione Bruno Kessler)
    Histologie, dermatologie, physiognomonie : schématisation topologique et diagrammes spatiaux des tissus, de la peau et du visage
    En commençant par une promenade parisienne dans le 10e arrondissement, le long des rues Bichat et Alibert, autour de l'hôpital Saint-Louis, la conférence présentera d’abord une reconstruction généalogique d’un diagramme et d’un mode de conceptualisation, d’articulation et de catégorisation sémiotique. En particulier, cette première partie tentera de répondre à la question suivante : dans quelles circonstances intellectuelles le diagramme arborescent, déjà bien connu en philosophie et en logique, également très présent dans la réflexion sémiotique, étudié par Umberto Eco dans un volume spécifique, devient-il un instrument de connaissance dans les sciences naturelles et s’affirme-t-il en biologie ? Comment est-il lié à la théorie de l'évolution ? Et quand la transition de son usage des sciences naturelles vers la médecine a-t-il eu lieu, et en particulier vers la partie qui s'intéresse le plus à la surface des corps, c'est-à-dire d'abord l'histologie, ou science des tissus, puis la dermatologie ? Quelle est la relation entre les diagrammes arborescents de la dermatologie des Lumières et la théorie physiognomique de Cesare Lombroso, si étroitement liée au racisme (pseudo)positiviste ? Quelles propriétés le diagramme en arbre et sa manipulation transfèrent-ils du domaine de la logique à celui de l’anthropologie criminelle ? Enfin, dans la deuxième partie de la conférence, nous examinerons les réactions rhizomatiques aux étendues des diagrammes arborescents et considérerons en même temps les retombées des premières ainsi que des secondes dans l’informatique contemporaine, dans sa gestion et sa manipulation graphique des taxonomies, et leurs applications aux catégorisations ontologiques, notamment de visages.
     
  • Nathalie Roelens (Université du Luxembourg)
    Le motif de la spirale : entre science et art
    De « la spirale de la violence » ou du « management spiralaire » à « La spirale » onto- et phylogénétique de Calvino, qui met en récit la « coquille » natura naturans de Valéry, le motif de la spirale convoque plusieurs disciplines au gré de sa phénoménologie disparate (la biologie, la théologie, l’anthropologie, l’architecture, la morphologie, la physique quantique, les sciences diagonales). Bidimensionnelle (spirale plane) ou pluridimensionnelle (hélice, vortex, tourbillon), sa modélisation semble tributaire de ses propriétés : motif linéaire ou pictural (Wölfflin), iconique ou plastique (Groupe µ)), pattern, schème, trame…
    Or, comment réellement modéliser ce qui déjoue les polarités (ordre/désordre, stabilité/déséquilibre, mesure/démesure, mouvement ascendant/descendant, évolution/involution, centrifuge/centripète) ? Ne présentant pas de bifurcation, la spirale échapperait à la théorie des catastrophes : continue et en devenir, elle se déploie sans changer brusquement de statut. Si la sémiotique peut certes nous aider à l’appréhender comme forme (finie) ou comme force (infinie), il nous faut invoquer la notion de « métaphore absolue » de Hans Blumenberg (2006) « qui résiste à sa traduction en concepts » afin de renouer avec l’origine indoeuropéenne de son sémantisme : (s)per, σπεῖρα (torsion), σπείρω (semer, éparpiller), spiritus, spiro, voire de ressusciter les catachrèses telles que « escalier en colimaçon » ou « porte tourniquet ». Les multiples avatars (é)mouvants de notre motif – l’« immobilité virtuose » que Didi-Huberman repère dans la danse et la corrida, l’« affect vertigineux » de Camille de Toledo ou l’installation artistique cinétique « Jeux sans frontières » de Marcin Dudek (Palerme 2018) – arriment en effet la spirale à cette métaphorologie.

Publié le 10 mai 2023