Sociologie des gilets jaunes. Reproduction et luttes sociales

La Maison Suger a le plaisir d’accueillir la deuxième séance du séminaire organisé par le GRETS, Sociologie des gilets jaunes. Reproduction et luttes sociales, en présence de Antoine Bernard De Raymond (INRAE) et Sylvain Bordiec (Université de Bordeaux). La séance sera introduite par Catherine Grandclément (EDF R&D et i3-CRG, École Polytechnique).

L’irruption du mouvement des Gilets jaunes, le 17 novembre 2018, a surpris nombre d’observateurs. Comment un appel à des blocages contre une taxe sur le diesel a-t-il pu mobiliser aussi massivement les catégories populaires ? Pourquoi les revendications se sont-elles centrées sur le "pouvoir d’achat" et la "justice fiscale" ? En quoi les Gilets jaunes participent-ils d’un renouvellement de la contestation ?

Issue d’une enquête au long cours auprès de groupes locaux de Gilets jaunes, cette recherche met en évidence que cette révolte relève moins du conflit dans la sphère de la production que d’une crise de la reproduction sociale des ménages populaires, dans les territoires périurbains et ruraux. Les revendications autour du prix du carburant diesel, en particulier, concernent le coût de reproduction de la force de travail (la voiture étant principalement utilisée pour les trajets domicile-travail). Plus largement, la mobilisation des Gilets jaunes engage des enjeux liés à "l’avenir des enfants", à l’éducation et aux solidarités intergénérationnelles au sein des familles. Au-delà des questions de production, l’analyse souligne ainsi le rôle central des enjeux de reproduction sociale, inscrits dans la sphère domestique et familiale.

Paradoxalement, un mouvement d’abord centré sur les conditions matérielles de vie aboutit à une remise en cause du politique et du gouvernement représentatif. Le rôle des ronds-points comme dispositif de rassemblement apparaît déterminant dans la montée en généralité des revendications. La logique consistant à désigner comme interlocuteur non pas les puissances économiques mais la sphère politique est également mise en lumière. À partir du cas des Gilets jaunes, il est montré que, de manière générale, les révoltes contre la vie chère se traduisent par des "crises de gouvernementalité" et une exigence de "ne pas être trop gouverné".

• Antoine Bernard de Raymond est sociologue, Directeur de recherche à INRAE (Bordeaux Sciences Economiques). Ses travaux portent sur les pratiques économiques et les transformations des conduites de vie. → Découvrir sa page personnelle
• Sylvain Bordiec est sociologue, Maître de conférences HDR à l'université de Bordeaux (Ceds). Ses travaux portent sur les relations entre socialisations des individus et action publique. 

• Antoine Bernard de Raymond et Sylvain Bordiec. Sociologie des Gilets jaunes. Reproduction et luttes sociales. Éditions du Bord de l’Eau, 2024. 
• Loïc Bonin, Antoine Bernard de Raymond, Sylvain Bordiec, Karine Clément, Charif Elalaloui, Théo Gremion, Pauline Liochon, Quentin Ravelli, Emmanuelle Reungoat. « Les Gilets jaunes : une révolte sans fin ? Une ethnographie comparée des ronds-points pour comprendre la durée du mouvement». Genèses. Sciences sociales et histoire, 2023, 130, p. 80-111.
• Antoine Bernard de Raymond et Sylvain Bordiec. « Bridging the Gap in Social Movement Research : Family as Vehicule for the Mobilization for the Yellow Vests ». French Politics, 2022, 20 (3-4), p.504-528.