Séminaire international de sémiotique à Paris


La thématique du séminaire international de sémiotique de l’année académique 2025-2026 vise à discuter certains résultats qui ont émergé et/ou certains questionnements qui se sont imposés à notre attention pendant les deux années de séminaire dédiées à l’intelligence artificielle (IA) et la théorie de l’énonciation (2023-2024) ainsi que sur l’intelligence artificielle générative (IAG), la traduction intersémiotique et la créativité (2024-2025). Il est notamment apparu que les textes produits par les IAG exigent que la sémiotique s’interroge à nouveaux frais sur la sédimentation des stocks discursifs et sur la dynamique qui permet de stabiliser autant que de diffuser ou renouveler les formes et les registres discursifs (praxis énonciative).
Quand l’IA rejoue les stéréotypes
L'objectif est de poursuivre les réflexions sur les automatismes qui impliquent, d’un côté, des réactions corporelles, psychiques et culturelles qui caractérisent les espèces humaine et animale, et qui ont été finement étudiés en biologie, psychologie et psychopathologie, de l’autre, ils concernent les constructions langagières qui peuvent se stabiliser dans des formules et dans des formulations hautement reconnaissables (motifs, topoï ou stéréotypes). Ces productions discursives se révèlent très utiles ¾ conditionnant même la communicabilité en tant que « lieu commun » ¾ car facilement transportables et détachables d’un discours à l’autre. Contrairement aux motifs et aux topoï qui sont les points de départ de l’intertextualité et des réappropriations créatives circulant d’un domaine à l’autre, les stéréotypes ont été souvent relégués au second plan. On leur reproche d’appartenir à l’univers folklorique ou en tout cas au discours populaire, ce qui fait qu’ils occupent une place assez modeste dans la hiérarchisation des discours. Il n’en reste pas moins qu’ils ont toujours joué un rôle important dans le discours politique et dans le discours artistique.
Stéréotypes et intelligence artificielle générative
Ces stéréotypes produits par des automatismes langagiers collectifs trouvent un écho dans les produits de l’IAG, à leur tour issus d’une histoire complexe d’automatisation du langage et du raisonnement dont la linguistique et la cybernétique ont contribué à établir les fondements. La formalisation et l’automatisation du langage ont porté avec elles un nouveau questionnement sur la normativité discursive (comment faire en sorte que la machine puisse s’adapter à des contextes changeants ?) et sur la possibilité de produire des textes plus ou moins stéréotypés ou originaux.
Automatisation et intention discursive
L’automatisation du langage est crucial de nos jours, notamment en raison du fait que les modèles génératifs actuels sont capables non seulement d’imiter mais aussi de recombiner de manière plausible d’immenses corpus discursifs, en produisant des énoncés qui, bien qu’inédits, réactivent des structures stéréotypiques inscrites dans des régularités statistiques, ce qui bouleverse notre rapport à la notion d’intention discursive. De plus, les développements de l’apprentissage profond en vision par ordinateur et traitement du langage permettent de produire aujourd’hui des énoncés visuels et audio-visuels et de révéler des typifications et des tendances idéologiques dans le cadre de la traduction entre langages construits sur des topologies et des syntaxes différentes. Le cas de l’IAG est révélateur d’une nouvelle manière de (re)produire les discours stéréotypiques car chaque réponse obtenue de la part du modèle génératif est différente de toutes les autres réponses que nous pourrons jamais obtenir de ce même modèle, ce qui complexifie la manière d’entendre la stéréotypie. Elle devient ainsi une sorte de grandeur extensive régie par un système d’embeddings, ce système étant lui-même structuré par des lois statistiques.
La standardisation en question
La standardisation quantitative des contenus (linguistiques, visuels, socio-culturelles, politiques…) produit une automatisation croissante dans les différentes institutions du sens et donne lieu à une réification des formes de la signification. Cette standardisation interroge d’ailleurs la sémiotique à plusieurs niveaux : au niveau énonciatif, où l’automatisation de la production discursive fait apparaître l’écart entre le régimes personnel et impersonnel et au niveau de la syntaxe tensive, qui se joue entre devenir programmatique et survenir de l’aléatoire. Elle interroge en outre la sémiotique au niveau des modes d’existence, où l’on pourrait se demander jusqu’à quel point la sémiosis automatisante ne ferait que réactualiser, sur chaque occurrence, un même patrimoine de formes potentialisé.
Questions ouvertes
Chaque nouvelle actualisation réorganise-t-elle ce patrimoine à travers une nouvelle redistribution syntaxique et paradigmatique ? Comment, au niveau des modèles narratifs, la question de l’adéquation des schématisations invariantes aux manifestations discursives singulières se pose-t-elle ? L’attention sera focalisée sur l’évolution des stéréotypes langagiers pris entre des automatismes biologiques, humains et culturels et des automatisations qui sont caractéristiques de la modélisation machinique des langages.
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Informations pratiques
- Lieu : Maison Suger - 16-18 rue Suger, 75006 Paris
- Jours et horaires : tous les mercredis de 13h45 à 17h
Conseil scientifique
Juan Alonso Aldama, Pierluigi Basso (coordinateur), Denis Bertrand, Anne Beyaert-Geslin, Jean-François Bordron, Ludovic Chatenet, Marion Colas-Blaise, Nicolas Couégnas, Enzo D’Armenio, Ivan Darrault-Harris, Rossana De Angelis, Valeria De Luca, Maria Giulia Dondero, Verónica Estay-Stange, Jacques Fontanille, Didier Tsala-Effa.

Juan Alonso Aldama
(Université Paris Cité)
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Maria Giulia Dondero
(F.R.S.-FNRS/Université de Liège)


Aspects of AI semiotics: enunciation, agency, and creativity