Race, sexualité et religiosité dans les traditions musicales haratines

Entretien avec Elhadj Ould Brahim, lauréat 2023 du programme Atlas
Dunes de sable

Elhadj Ould Brahim, chercheur mauritanien, a récemment obtenu son diplôme à l'Université d'Istanbul en Turquie avec une thèse sur les cultures visuelles et orales des Bidans de Mauritanie.

Lauréat 2023 du programme de mobilité Atlas, il a poursuivi son projet de recherche "Race, Sexuality and Religiosity in Haratin Bondja and Medh Music Tradition" qui explore les liens entre la musique, la culture visuelle et orale, et les questions d'identité, de religiosité, de race et de représentation du genre, au sein des communautés Bidan et Haratin en Mauritanie.

Grâce au soutien déterminant de la FMSH, il vient d'obtenir une bourse de recherche postdoctorale au Center for the Study of Africa and the African Diaspora (CSAAD) de l'Université de New York pour l'année 2024-2025.

* * *

Pouvez-vous nous décrire votre projet de recherche ?

Le projet que je mène est un travail de fond qui s’inscrit dans le contexte sociohistorique spécifique de la Mauritanie. Ce contexte est caractérisé par un système social fortement hiérarchisé où les classes sociales, voire les castes, produisent des expressions intellectuelles, culturelles et artistiques complexes. Ces dernières suivent souvent la même logique hiérarchique dans leur production, leur circulation et leur réception. Dans ce cadre, ma recherche se concentre sur le groupe particulier des Haratins, qu’on pense en grande partie issu de l’esclavage.

L'objectif est de contribuer à la compréhension des histoires sociales et culturelles de la communauté Haratin en Mauritanie à travers deux anciennes traditions musicales et orales : le Bondja et le Medh. Ces deux traditions se manifestent sous la forme de chants et de textes poétiques créés exclusivement par les Haratins, pendant leur esclavage puis après avoir gagné leur liberté. Le Bondja évoque la vie quotidienne des Haratins, documentant leurs voyages dans les oasis et la vie dans les caravanes. Le Medh rend quant à lui compte de leurs aspirations spirituelles et de la manière dont ils ont développé et pratiqué leur spiritualité. Ces deux traditions sont considérées comme le répertoire secret de cette ancienne communauté saharienne et comme sa mémoire collective.

J’ai commencé à étudier ces deux traditions non seulement en tant que formes culturelles et artistiques, mais aussi en tant que pratiques signifiantes qui continuent à générer un sens culturel et symbolique pour l’ensemble de la communauté haratine.

Qu’est-ce qui vous a mené à étudier ce sujet ?

Une zone d'ombre persiste dans la recherche concernant la culture, l’identité et les expressions artistiques des Haratins. Pour combler ce vide, je me suis tout d’abord efforcé de sauvegarder et documenter les traditions orales, actuellement en danger de disparition. Puis, j’ai commencé à étudier ces deux traditions non seulement en tant que formes culturelles et artistiques, mais aussi en tant que pratiques signifiantes qui continuent à générer un sens culturel et symbolique pour l’ensemble de la communauté haratine. J’ai moi-même été élevé à Atar, où le Bondja est un plaisir musical quotidien. Ce vécu personnel a été ma première expérience de terrain avec ces traditions.

Quel a été l’impact du programme Atlas sur votre carrière ?

L’aide à la mobilité offerte par la FMSH a été une formidable opportunité pour le développement de ma carrière académique. Le soutien logistique apporté par la FMSH et l'IMAF, mon laboratoire d’accueil, a été un facteur clé pour assurer une résidence académique productive et sans accroc. L’accès illimité aux installations, aux bibliothèques et aux espaces de travail a considérablement amélioré la qualité de mon expérience de recherche. Par ailleurs, la nature collaborative et accueillante des équipes des deux institutions, en particulier à la FMSH, m’a laissé une impression durable. Ce cadre stimulant s’est avéré déterminant pour maximiser ma production et la qualité de mes recherches.

En outre, ma résidence à la FMSH m’a permis d’élargir et de nouer de nouveaux contacts avec des collègues en France et à l’étranger. Pendant mon séjour à la FMSH, j’ai trouvé le temps, l’espace et le soutien collégial nécessaires pour préparer et postuler aux autres programmes et bourses que je visais, pour lesquels j’ai préparé ma candidature avec l’aide d’un expert spécialisé de la fondation. Grâce à cet appui, j'ai réussi à obtenir une bourse de recherche postdoctorale du Center for the Study of Africa and the African Diaspora (CSAAD) à NYU aux États-Unis pour l'année 2024-2025.

Grâce à cet appui, j'ai réussi à obtenir une bourse de recherche postdoctorale du Center for the Study of Africa and the African Diaspora (CSAAD) à NYU aux États-Unis pour l'année 2024-2025.

Quels sont vos projets à venir ?

Au vu de la richesse des traditions que j’étudie, je tiens à poursuivre mon travail dans d’autres régions afin de contextualiser ces traditions de manière plus précise, de comprendre leurs origines et leurs relations avec les autres traditions diasporiques d’esclaves dans les régions du Sahara, du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord. Plus précisément, je cherche à trouver des liens supposés entre ces traditions sahariennes et d'autres communautés/traditions diasporiques d'esclaves, telles que le Zār au Soudan, en Égypte et dans le golfe Persique, le Gnāwa au Maroc, le Derdeba et le Seba' Aioun en Algérie, le Sambānī en Libye et le Stambali en Tunisie.

À plus long terme, j'ai l'intention de m'engager dans un autre projet de recherche qui se concentrera cette fois sur l'histoire de la culture visuelle moderne telle que le cinéma et la photographie de studio en Mauritanie et dans les pays d'Afrique de l'Ouest. Cela fait partie de ma formation en études culturelles et visuelles, et en anthropologie visuelle. Une partie de ce projet sera menée en Mauritanie et au Sénégal avec une amie très proche, Jennifer Bajorek, chercheuse et professeure renommée qui se spécialise dans l'intersection de la photographie, de l'art et de la forme poétique en Afrique de l'Ouest. J'ai eu l'honneur et le privilège de la connaître lors de sa résidence à la FMSH en 2023.

 

Elhadj Ould Brahim

 


Article paru dans le deuxième numéro du Journal de la FMSH.

Publié le 1 août 2024