Entretien avec Daniela Durán Cid

Lauréate 2023 du Prix d'histoire sociale de la Fondation Mattei Dogan
visuel Daniela Duran_lauréate 2023 Mattei Dogan

Daniela Durán Cid est la lauréate 2023 du prix d'histoire sociale Fondation Mattei Dogan, pour sa thèse "Expertise et politique au cœur de la coopération au développement France-Chili : le bureau d'études IRAM dans la Réforme agraire chilienne (1964-1973)"

La recherche doctorale de Daniela explore comment l'Institut de recherche et d'applications des méthodes de développement (IRAM) a participé à la Réforme agraire au Chili entre 1964 et 1973. Elle se penche sur la coopération technique française au développement, initiée par Charles de Gaulle, et examine comment cette coopération a émergé en réponse à la transformation des liens coloniaux français avec l'Afrique, notamment lors des indépendances africaines. De Gaulle a cherché à étendre cette influence en Amérique latine, initiant un dialogue avec le projet démocrate-chrétien chilien dirigé par Eduardo Frei de 1964 à 1970.

Dans cet entretien, la lauréate revient plus en détail sur son projet, son parcours et discute de l'impact de ce prix sur sa carrière. Rencontre.

Pouvez-vous nous présenter en quelques mots votre parcours ?

Je suis de formation linguiste et anthropologue, d’origine chilienne, arrivée en France dans le cadre d’une mobilité internationale étudiante à Sciences Po Rennes. La pluridisciplinarité est au cœur de mon parcours et elle est présente aussi dans mes pratiques d’enseignante universitaire et chercheuse. J’ai une longue expérience dans l’enseignement supérieur français, à Sciences Po Rennes et à l’Université Rennes 2, notamment dans le domaine des études latino-américaines (langue, histoire et culture). J’ai également une trajectoire de recherche entre le Chili et la France. Ma thèse a été un moment d’approfondissement de ces liens entre les deux pays, à travers l’aide à la mobilité de Rennes Métropole, le soutien de mon laboratoire ERIMIT (Rennes 2) et l’accueil au Chili du Núcleo científico en Ciencias Sociales (Universidad de la Frontera, Temuco) et du Département d’anthropologie de l’Academia de Humanismo Cristiano (Santiago).

Votre thèse récompensée porte sur un sujet spécifique, nous transportant au cœur de la coopération franco-chilienne au moment de la Réforme agraire. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Ma thèse porte sur l’intervention de l’Institut de recherche et d’applications des méthodes de développement (IRAM) dans la Réforme agraire chilienne qui a eu lieu entre 1964 et 1973 au Chili. Cette étude anthropologique et historique analyse le champ de la « coopération technique française au développement » mise en place sous l’impulsion de de Gaulle. Ce dispositif a mobilisé des coopérants et des fonctionnaires entre la France et le Chili, tout en permettant la circulation transnationale de modèles théoriques et méthodologiques dans le contexte de la Réforme agraire.

L’analyse de l’action de l’IRAM au Chili dévoile les aspects politiques de l’expertise en coopération technique des années 60 aussi bien à l’intérieur du champ ou du marché français de la coopération française, que dans l’articulation entre un bureau d’études et l’appareil d’État chilien.

À un autre niveau, les enjeux politiques de l’expertise de l’IRAM émergent dans la mise en place même d’une Réforme agraire, au sein de laquelle se sont articulées différentes positions politiques et idéologiques, notamment autour du rôle du paysannat ou des formes d’organisation de la production agraire. Sur ce point, la polarisation politique de la société chilienne au cours des années 60 — et plus particulièrement de ses élites dirigeantes — a eu un impact direct sur la mission sur place. Plus encore, la discussion des modèles théoriques agraires et le virage intellectuel à gauche des coopérants ont eu une répercussion directe sur les logiques internes du bureau d’études, entraînant un conflit entre experts africanistes et latino-américanistes.

Qu'est-ce qui vous a conduit à choisir cette thématique de recherche ? 

J’ai travaillé dans un projet financé par la MSH-Bretagne sur les réseaux de recherche, la coopération et les archives connectant la France et le Chili. Au cours de nos recherches, nous avons rencontré quelques coopérants français agronomes, qui avaient œuvré pour la Réforme agraire chilienne (1964- 1973) et qui conservaient une documentation de leurs institutions d’accueil, riche et difficile à retrouver au Chili aujourd’hui. Cette piste m’a conduite jusqu’au bureau d’études, avec qui ces gens travaillaient à l’époque. L’IRAM (mentionné plus haut) voulait lui aussi entamer une réflexion autour de son histoire et ses archives. C’était le début d’un beau programme de recherche, basé sur des archives inédites. J’ai aussi pu rencontrer ces acteurs de la coopération technique France-Chili, lors de plusieurs enquêtes de terrain dans les deux pays. Mon travail présente donc une dimension importante concernant la récupération d’une mémoire sociale de la coopération technique au développement.

C’est déjà un très grand honneur pour une chercheuse étrangère d’avoir un prix sur l’histoire sociale en France. Ce prix constate et valide l’importance de la circulation de la recherche - et des chercheurs - entre l’Europe et les Amériques, ainsi que la pertinence d’un regard transnational.

Que représente l’obtention du Prix Mattei Dogan dans votre parcours universitaire ?

C’est déjà un très grand honneur pour une chercheuse étrangère d’avoir un prix sur l’histoire sociale en France. Ce prix constate et valide l’importance de la circulation de la recherche - et des chercheurs - entre l’Europe et les Amériques, ainsi que la pertinence d’un regard transnational. Je suis sûre que ce prix apportera beaucoup des choses dans ma trajectoire professionnelle. Son attribution m’a également convaincue de l’importance de poursuivre ce travail et de diffuser ses résultats en France et au Chili.

Suite à l'obtention de ce prix, que peut-on vous souhaiter pour la suite de votre carrière ?

J’aimerais surtout conclure un chapitre de ma recherche en publiant la thèse, pour pouvoir ensuite poursuivre toutes les pistes passionnantes que cette investigation a ouvertes. En particulier, la question des archives sur le développement agraire latino-américain : leur place, conservation et mise à disposition pour la recherche sont des aspects centraux pour une réflexion sur les humanités numériques. La question des circulations au sein de la décennie 1960 est aussi au cœur de mon travail, sous ses différentes formes : personnes, idées, théories, pratiques, objets. Les dynamiques transnationales posées par la coopération permettent d’explorer davantage les circulations, par exemple, entre Afrique et Amérique latine. J’aimerais pouvoir continuer et approfondir ma recherche autour de ces sujets.

De la même manière que les étrangers apportent aux champs des connaissances en France, les jeunes chercheurs apportent aussi de nouveaux regards sur certains sujets qui peuvent paraître par ailleurs « vieux » ou déjà travaillés. En découle l’importance de décloisonner nos disciplines et d’aller chercher des sujets « non traditionnels » par rapport à celles-ci.

Au regard de votre expérience personnelle, en quoi est-il important de soutenir la jeune recherche en SHS ?

De la même manière que les étrangers apportent aux champs des connaissances en France, les jeunes chercheurs apportent aussi de nouveaux regards sur certains sujets qui peuvent paraître par ailleurs « vieux » ou déjà travaillés. En découle l’importance de décloisonner nos disciplines et d’aller chercher des sujets « non traditionnels » par rapport à celles-ci ; par exemple, la « coopération au développement », abordée dans ma recherche dans une perspective anthropologique. Cette vision ouverte et à vocation pluridisciplinaire nous pousse à dépasser des limites imposées par les traditions académiques et ouvre la porte à des problématiques innovantes et riches en réflexions pour notre monde actuel et nos sociétés connectées.

Prix d'histoire sociale Mattei Dogan

Tous les deux ans depuis 2009, le prix d'histoire sociale Fondation Mattei Dogan distingue une thèse d'excellence de doctorat portant sur l'histoire sociale du XIXe au XXIe siècle, traitant de la France, de plusieurs pays étrangers, ou d'un sujet transnational. 

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