Edito de Philippe Descola

L’humanité fait partie de la nature. C’est ce constat que je n’ai cessé d’explorer au long de ma carrière de chercheur, afin de déconstruire le dualisme entre nature et culture. L’observation des Achuar de la haute Amazonie m’avait montré qu’humains et autres qu’humain peuvent être liés comme des partenaires sociaux, que la nature n’est pas qu’un décor de théâtre dans lequel nous évoluons ou dont nous devons devenir comme « maîtres et possesseurs ». Comme d’autres populations autochtones, les Achuar font corps avec leur milieu de vie : leur modèle, très différent du nôtre, n’est pas peuplé par le marché ou l’argent, mais par un esprit d’ouverture à toutes les composantes d’une cosmologie qui ne discrimine pas entre les humains et les autres. Or, les transformations que nous avons fait subir au système de la Terre sont rendues si irréversibles qu’on ne peut être que pessimiste quant à l’état du monde que nous allons léguer à nos petits-enfants comme à ceux des Achuar qui n’ont pourtant pas participé à cette destruction.
Partout la maison est appréhendée comme un microcosme de niveau intermédiaire entre le corps dont elle forme une extension et le monde qu’elle reproduit en réduction

Faisant de l’habitat un enjeu crucial du siècle à venir, ce colloque nous pousse à nous interroger sur les lieux où de nouvelles relations pourront se créer, tant du point de vue des liens sociaux que du bâti. À l’image des ZAD, des expériences nous donnent une forme d’espoir dans la façon de se relier à un territoire, à ses ressources ou aux êtres qui le peuplent. Repenser la cosmologie occidentale demande donc de repenser la césure entre humains et autres qu’humain en imaginant un destin commun entre les humains et ce qui les entoure, notamment à travers nos façons d’habiter le monde et, partant, de faire monde. Si nous voulons d’une humanité apaisée, en dialogue avec son écosystème, notre mode de vie doit donner la priorité à la promotion de valeurs comme la solidarité ou l’égalité, et tourner le dos à l’obsession de production et de possession que le capitalisme a érigé en fer de lance de notre société.
Le savoir est une matière explosive
L’anthropologie, en s’interrogeant sur les rapports au monde et sur les différences entre groupes humains, est une science de la diversité. Montrer et expliquer ces différences permet de ne pas les craindre, et même de les désirer. Pourtant, l’actualité politique incite à penser que la tolérance pour la diversité disparaît. Il devient donc urgent de produire des savoirs, des idées, des récits, des envies pour un futur commun. L’anthropologie ne peut le faire seule : c’est à la transdisciplinarité portée par tous les intervenants de ce colloque que revient cette tâche, représentants des sciences humaines, des sciences expérimentales et du monde civil.
Tâchons d’établir une distance vis-à-vis du quotidien, de nous étonner pour découvrir d’autres façons de vivre la condition humaine, d’adopter une attitude critique vis-à-vis de notre propre civilisation, et de produire des doutes et des savoirs pour rêver à d’autres projets de société.
Philippe Descola
Adresse : Fondation Maison des Sciences de l’Homme, 54 blvd Raspail, Paris 6
Dates : 9 et 10 octobre 2024
Horaires : 8h30 - 18h


Ce que la question du genre dit des sociétés


Westkunst, 1981


Le corps du genre

