Entretien avec Camille Van Deputte
Le prix Ariane Deluz / aide à la recherche en ethnologie de l'Afrique subsaharienne pour l'année 2019 a été attribué par le Jury et la Fondation Maison des sciences de l'homme à Camille Van Deputte, doctorante en anthropologie à l'université Paris-Nanterre (LESC) pour son projet de recherche de terrain "Se chercher" quand on est un "cadet social". Itineraires professionnels et familiaux de devins/devineresses, de jeunes adultes et de veuves dans la région de Korhogo (Côte d'Ivoire) mené sous la direction de M. Houseman (EPHE).
- Pouvez-vous nous présenter votre parcours et votre institution de rattachement ?
Je suis doctorante en anthropologie à l’université Paris-Nanterre où j’ai effectué l’ensemble de mon parcours académique (licence, master). Je suis rattachée au Laboratoire d’ethnologie et de sociologie comparative (Lesc) et sous la direction de Mr. M. Houseman (EPHE-Imaf). Je dépends également de l’école doctorale 395 « Milieux, cultures et sociétés du passé et du présent ».
Depuis 2016, je mène des enquêtes à Korhogo, plus précisément à Natio-Kobadara, un ancien village devenu par les effets de l’urbanisation un des plus grands quartiers périphériques de la ville, et dans quelques villages alentours.
J’ai effectué mon premier terrain en 2016 dans le cadre de mon mémoire en anthropologie, soutenu à l’université Paris-Nanterre en 2017. Je m’étais intéressé aux membres du sandogi, une société initiatique élective essentiellement composée de femmes. Les deux rôles principaux des initiées (sandowi, pl. sandobele en sénoufo) sont : la conservation de la pureté du matrilignage pour en garantir la perpétuation et le maintien de bonnes relations avec les êtres invisibles grâce à la divination. Des compétences thérapeutiques et de contre-sorcellerie étant parfois combinées à la divination, les acteurs mobilisent alors diverses appellations pour qualifier leur pratique : « initié du sandogi » (sandowi), « celui qui consulte » (tyafɔlɔ), « tapeurs de racines » (nikmɔbele), « propriétaire de recettes de feuilles » (wɛrɛfɔlɔ), « propriétaire de fétiche » (yasungofɔlɔ).
J’ai déjà effectué plusieurs recherches de terrain dans le cadre de ma thèse depuis 2018.
- Parlez-nous de votre sujet de recherche récompensé, « "Se chercher" quand on est un "cadet social". Itineraires professionnels et familiaux de devins/devineresses, de jeunes adultes et de veuves dans la région de Korhogo »
Devins/devineresses, jeunes adultes et veuves paraissent de prime abord très différents. Or, de par leur position sociale et leur accès aux ressources, ils peuvent être considérés comme des « cadets sociaux », à la situation dévalorisée voire marginalisée. Ce projet de recherche propose d'explorer les itinéraires professionnels et familiaux de ces trois groupes d'individus dans un quartier périphérique de la ville de Korhogo, Natio-Kobadara et dans quelques villages alentours. Ainsi, il s'agit à partir de trajectoires individuelles de regarder le champ des possibles qui s'offrent à chacun, les échecs et les réussites, les stratégies et les réseaux de relations mobilisés à des moments clefs de leur vie.
L'expression « se chercher » revient régulièrement dans les discours notamment de la jeunesse. Elle prend des sens différents en fonction du contexte de son utilisation. Cependant, elle se réfère toujours à l’idée d’une réalisation de soi, de l’aspiration à une autonomie financière et dans la conduite de sa vie. Il existe différents moyens par lesquels il est possible de « se chercher » -le gain d’argent étant la première préoccupation : par la réalisation de petits travaux ponctuels et précaires (gombo en nouchi, argot ivoirien), le salariat (notamment la fonction publique), la migration (nationale, sous-continentale ou internationale), l’investissement dans une affaire (par exemple : entreprenariat, petits commerces, ventes de matières premières) ou encore par les études.
L’objectif est d’acquérir une position sociale enviable ou du moins d’espérer avoir de meilleures conditions de vie que celles connues jusqu’à présent.
La recherche d’une position sociale est pensée en fonction des aînés aussi bien que des pairs. Ainsi, tout projet de construction de soi et de sa personne sociale est traversé par une tension. Elle apparaît alors comme un phénomène entre générations et au travers d’une même génération. De même, il est essentiel de prendre en compte l’impact de l’âge et du sexe sur les positions sociales occupées par les individus et sur les perspectives qui leurs sont offertes.
- Dans quel contexte avez-vous décidé de poser votre candidature pour ce prix ?
J’ai eu connaissance de ce prix qui soutient les recherches ethnographiques alors que je programmais de repartir en Côte d’Ivoire pour un deuxième terrain de thèse de plusieurs mois. Cela m’a donc paru le bon moment pour candidater.
- Que vous permettra le prix Ariane Deluz ? L'obtention de ce prix est-elle déterminante pour la poursuite de votre projet de recherche ?
Il m’a aidé à financer mon deuxième terrain de thèse et permettra aussi d’en envisager un troisième afin d’approfondir mes enquêtes. C’est un soutien précieux pour tout étudiant, notre discipline nous encourageant souvent à partir à l’étranger. C’est aussi un privilège de recevoir un prix décerné par la FMSH.