Attribution du prix Ariane Deluz 2022
Le prix Ariane Deluz / aide à la recherche en ethnologie de l'Afrique subsaharienne pour l'année 2022 a été attribué par le Jury et la Fondation Maison des sciences de l'homme à Mr Akotchayé Aimé GUEGNI, titulaire du Diplôme d’Études Approfondies (DEA) à l’Université d’Abomey-Calavi au Bénin. Il intègre l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS) à Paris en 2020 pour préparer son doctorat en anthropologie politique du religieux sous la direction de Fabienne Samson et la codirection de Éloi Ficquet. Le sujet de la thèse est intitulé : Pluralité religieuse et laïcité au Bénin : une ethnographie par « le haut » de l’Assemblée Nationale.
L’État béninois est laïc et multi-religieux conformément aux dispositions constitutionnelles. Cette pluralité fait dire à J.C. Barbier et E. Dorier-Apprill (2002 : 223) que « le Bénin fait partie d'une série de pays d'Afrique de l'Ouest où aucune religion n'apparaît comme majoritaire ». Les rapports politico-religieux sont, par ailleurs, officiels et anciens dans le pays, le religieux ayant depuis longtemps marqué sa présence dans les institutions de l’État. Ainsi, dans sa thèse en 2005, Camilla Strandsbjerg avait-elle observé l’installation des groupes de prières dans les ministères au Bénin « comme nouvelle pratique politique au sein de l’État ». Dans cette perspective, les travaux de C. Mayrargue (2005) ont également montré qu’au Bénin « des stratégies précises sont alors élaborées et qui visent à accroître la présence évangélique dans la sphère politique, dans le but de moraliser et de christianiser l’espace public ». Si le politique use du religieux, les acteurs religieux tendent également à remplacer l’État défaillant (Hibou 1999) dans les domaines de la santé, de l’éducation, de la construction de forages, allant jusqu’à la création d’un espace public religieux (Holder et Sow : 2014, D. Amouzouvi : 2014, F. Samson : 2013).
Ce phénomène ainsi observé est contraire à la constitution selon laquelle ce sont les partis politiques qui doivent animer la vie politique du pays, et non les religieux. De ce fait, la collaboration des acteurs (religieux et politiques) pose le problème de la définition de la laïcité à la béninoise. Dans cet ordre d’idée, Abel Guyoh (2021 :52) a conclu dans sa thèse qu’« au Bénin, la Laïcité intègre une dimension politique, religieuse et culturelle, d’abord par le rapport entre la culture et la religion, ensuite par le lien de la religion au politique et du rôle de l’espace public dans l’affirmation de la laïcité ».
L’Assemblée Nationale, cible permanente du religieux, compte aujourd’hui en son sein des leaders des trois plus grandes confessions religieuses au Bénin. Cette caractéristique du parlement béninois place le fait religieux au centre des débats dans l’hémicycle.
La présente étude ethnographique tient effectivement son originalité de son approche du politique « par le haut », grâce à l’étude institutionnelle de l’État, et elle est le prolongement de mes travaux réalisés à Cotonou sur les pratiques religieuses et l’espace public dans le cadre de l’obtention de mon Diplôme d’Études Approfondies (DEA) à l’Université d’Abomey-Calavi (UAC). L’objectif de cette thèse est d’analyser la représentation nationale au Bénin, afin d’appréhender : - la façon dont les députés gèrent les notions de laïcité ; - les rapports du politique au religieux ; - la concurrence entre acteurs religieux pour l’accès à l’État ; - les enjeux, tractations, pressions et lobbyings mobilisés au sein de l’hémicycle et la place des députés religieux au sein du parlement. En cela, elle se démarque des nombreuses études menées jusqu’alors au Bénin sur les rapports politico-religieux. L’ambition de mon travail est, in fine, d’enrichir le champ des connaissances – par une anthropologie politique de la religion et une étude des institutions – sur les imbrications politico-religieuses au Bénin et, au-delà, d’appréhender les enjeux contemporains des dynamiques religieuses, en lien avec le politique, dans une sous-région traversée ces dernières années par de fortes tensions en lien avec le religieux.
Ce terrain financé par le Prix Ariane Deluz me permettra de parcourir, d’une part, quatre circonscriptions électorales pendant la période (pré)campagne et de l’élection législative de janvier 2023 pour observer les candidats religieux en campagne électorale, notamment l’usage qu’ils font des signifiants religieux dans leurs discours et dans leurs comportements. Les circonscriptions identifiées sont : la 16ème circonscription électorale dans le sud du Bénin d’où sont élus un imam et un responsable paroissial de l’église du christianisme céleste ; la 9ème circonscription électorale au centre du Bénin d’où provient un député pasteur ; la 5ème circonscription électorale du député et chef religieux traditionnel ; et la dernière circonscription (la 8ème) qui se trouve dans le nord du Bénin, fortement islamisé.
D’autre part, je ferai un long séjour à l’Assemblée Nationale - après les élections législatives - afin de procéder au recueil des discours, de la littérature existante au niveau des acteurs politiques et religieux, et du personnel administratif de l’Assemblée Nationale. À cet effet, des entretiens seront réalisés, et les archives en tous genres (archives historiques, journaux, magazines, enregistrements audio) seront utilisées.