Ec(h)o-politique des chants d’oiseaux
Découvrez le projet lauréat 2023 "Ec(h)o-politique des chants d’oiseaux, ethnographier les voix pour penser les relations dans le cadre d’une relation d’élevage (Brésil, São Paulo)" du fonds d'aide à la recherche en anthropologie sociale, le Fonds Louis Dumont.
Le projet
Il existe au Brésil une tradition d’oisellerie, dont l’une des singularités est l’organisation des concours de chants d’oiseaux qui ont essaimé sur le territoire à partir du milieu du siècle dernier. Originaires de la région littorale de l'Etat de São Paulo, les concours que j’étudie visent à élire le sporophile curio, ou curió, le plus virtuose : lors de chaque tournoi, les passereaux sont notés grâce à un réglement musical permettant d’évaluer en détails leur interprétation d’une partition. Celle-ci correspond à une mélodie composite issue de la rencontre en captivité de curiós originaires de différentes localités. Ce processus d’hybridation vocale, orchestré dans les années 1950 et 1960 par un collectif d’oiseleurs mélomanes, a abouti à une mélodie complexe, entendue par les oiseleurs comme une cartographie sonore qui superpose des territoires d'oiseaux à une topographie humaine. Enregistrée et diffusée sur divers supports, cette mélodie a ensuite été informatiquement retravaillée pour satisfaire des canons esthétiques humains. Aujourd'hui, ce chant semi-artificiel est enseigné aux curiós d’élevage grâce à un dispositif nommé oiseau électronique. Pour reproduire les conditions naturelles de l’acquisition vocale des curiós, les oiseleurs créent des environnements immersifs qui modélisent un paysage sensible propice à leur apprentissage. Leur chant, qui imprime dans sa matérialité sonore les propriétés de leur environnement, est ainsi considéré par les oiseleurs comme le produit émergent d’un contexte écologique, social et technique.
Le point de départ de cette enquête est que les rapports qu’entretiennent les oiseleurs et leurs curiós se sont imprimés dans la matérialité sonore des chants d’oiseaux ; autrement dit, que ces relations peuvent être écoutées. Ethnographier une relation d‘élevage en partant de voix animales signifiantes est une manière de prendre au sérieux et de radicaliser la démarche anthropologique visant à restituer le rôle des êtres non-humains dans nos manière de faire société. En prenant pour support d’enquête un chant spécifique nommé Praia Grande Classico, il s’agit de révéler les soubassements ontologiques, sensibles et affectifs d’un lien interspécifique difficile à saisir par le seul prisme du langage. L’étude des conditions d’émergence, de transformation et d'interprétation de ce chant permet de connecter les biographies individuelles des curios d’élevage à un panorama social, politique, écologique et technique caractéristique de la modernité brésilienne. En dernière instance, le but de ma recherche est de montrer que les oiseaux, loin d’être cantonnés à la temporalité abstraite de l’histoire naturelle, sont les acteurs et les témoins des crises multiples qui secouent le pays depuis le début de mon terrain (marqué par la pandémie de COVID-19, des conflits politiques pré et post électoraux, un contexte social particulièrement clivé, et, en toile de fond, l’érosion massive de la biodiversité).
Laurie Vandevelde
Laurie Vandevelde est doctorante en anthropologie sociale au LAS (EHESS) sous la direction d’Hélène Artaud et Alexandre Surrallés. Suite à une formation en philosophie et sciences sociales environnementales, elle se tourne vers l’anthropologie, et amorce une recherche sur l’iconicité sonore dans les relations interspécifiques dans le cadre d’un master au MNHN. Cette recherche se poursuit ensuite lors d’un premier terrain ethnographique mené en Guyane, où elle enquête sur les relations humains-oiseaux dans le cadre des tournois de chants de pikolets (sporophile curio). Elle étudie à présent dans le cadre de sa thèse les compétitions de chant de curio organisées au Brésil en prenant pour support d’enquête la voix des oiseaux, matériau acoustique qui lui permet de déplier les aspects sémiotiques, sensibles, technologiques et affectifs des relations interspécifiques. Plus largement, les pratiques d’oisellerie observées sur le terrain lui permettent d’aborder différents aspects de la société brésilienne contemporaine, et de restituer les recompositions du lien à l'animal dans un contexte de crise politique, social et environnemental.
