Le combat pour les droits des femmes dans le monde arabe

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Les droits des femmes constituent un enjeu politique et identitaire important dans le monde arabe. Depuis l’émergence d’États arabes indépendants, toute modernisation de la société passe par les droits des femmes, toute remise en cause de la modernité commence par ces droits et se réalise à leur détriment. En dépit de l’élaboration de textes juridiques qui protègent les femmes et leur reconnaissent des droits importants, leur statut demeure fragile ; les discriminations qui persistent à leur encontre, au nom des traditions ou d’us et coutumes empreints de sacralité et de religiosité, sont consacrées dans la loi interne au pays considéré, dans la pratique sociale et dans les réserves émises lors de la ratification de conventions internationales, principalement la Convention internationale relative à l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW). L’attitude des États est paradoxale et ambivalente. Le discours officiel exprime à la fois une politique d’émancipation des femmes, de promotion de leurs droits et de maintien de l’ordre patriarcal ancestral, en s’appuyant sur les règles d’origine religieuse qui continuent à régir la famille et la société. Notre propos s’attelle à réfléchir sur l’attitude qui veut s’inscrire dans l’universalité des droits humains en général, tout en privilégiant les spécificités culturelles : en effet, l’écrasante majorité des Etats arabes (au nombre de 19) a ratifié cette convention ; mais la plupart l’ont fait sans refondre des législations discriminatoires et sans adopter des lois égalitaires, tout en formulant des réserves essentiellement à l’encontre des droits des femmes dans la famille et vis-à-vis des enfants au nom des règles de la charia islamique. Ces réserves constituent une atteinte à l’unité des droits humains et à leur universalité, ainsi qu’une violation de l’égalité entre les sexes, objectif à atteindre par la Convention susnommée. Les mouvements féministes apparus depuis les années 80 ont appelé les États à lever les réserves à la reconnaissance entière des droits des femmes dans les espaces publics et privés, sans exception. Plusieurs campagnes, nationales, régionales et internationales, ont été organisées et ont amené certains Etats à lever quelques réserves, notamment celles qui touchent à l’octroi de la nationalité des femmes à leurs enfants. Cependant, beaucoup d’efforts restent à faire pour la levée de toutes les réserves et la consécration de l’universalité des droits des femmes et de la démocratie égalitaire au sein de la famille.

L’auteure

Hafidha Chekir, docteure en droit public et en sciences politiques, Professeure de droit public en Faculté de droit et des sciences politiques à l’Université Al Manar (Tunis), a obtenu le prix des droits de l’homme de la Société française du Droit international pour sa thèse sur le rôle du droit dans la promotion du statut des femmes, soutenue l’année de la célébration du cinquantenaire de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (1998). Ses travaux portent sur les droits des femmes vus à travers les instruments internationaux, le droit de l’environnement, la violence à l’égard des femmes, les droits de l’homme, les droits humains. C’est dans le cadre de la Fondation pour les droits des peuples (Lelio Basso) qu’elle a enseigné à l’Université Federico II (Naples) sur le thème «Migrations et liberté de mariage des femmes». Elle est membre fondatrice de l’Association des Femmes tunisiennes pour la Recherche sur le Développement (1989) et membre de la Commission «Femmes» de l’Institut Arabe des Droits de l’Homme. Elle a contribué activement aux travaux préparatoires à la nouvelle Constitution tunisienne, adoptée le 26 janvier 2014. Elle a publié : I. en français : Le statut des femmes entre les textes et les résistances : le cas de la Tunisie, Tunis, CHEMA Editions, 2000 et de nombreux articles ou contributions à des ouvrages collectifs, dont « La prostitution des femmes entre la légalité et l’interdiction », in Commerce du sexe et droits humains, UNESCO, Communauté française de Belgique, Bruxelles,1993 ; « Droit du travail, droit de grève et droit syndical », in Syndicat et société, Tunis, CERES, 1998 ; « La gestion des affaires locales par les citoyens, une certaine forme de gouvernance », in Mélanges Belaïd, Tunis, CPU, 2005 ; « Justice et politique en Tunisie », L’année du Maghreb, 2007. II. en arabe : « Les droits des femmes et les conventions internationales relatives aux droits humains en Tunisie », in Les droits des femmes dans le monde arabe, Institut arabe des droits de l’homme, Tunis, 1995 ; (en collaboration avec Habib Hamdouni), Les droits des femmes entre reconnaissance internationale et enjeux internes, Centre du Caire sur les études dans le domaine des droits de l’homme, Le Caire, 2008.

Le texte

Ce texte a été présenté par l’auteur lors d’une séance du séminaire « Genre, politique, sexualité(s). Orient/Occident » en mars 2011. Il a été remanié et actualisé pour cette publication.

Publié le 24 juin 2014