Citoyennes soignantes

En avril 2014, lorsque démarre la guerre à l’est de l’Ukraine, appelée également guerre du Donbass, qui oppose le gouvernement ukrainien à la Russie et à ses relais séparatistes locaux, le centre hospitalier médico-militaire de Kharkiv devient l’un des principaux établissements de prise en charge des blessés militaires, dans un contexte où le sous-financement chronique de l’armée ukrainienne se répercute fortement jusque dans ses hôpitaux.
Au terme d’une enquête ethnographique longue de neuf ans, Ioulia Shukan nous emmène suivre les trajectoires d’engagement et de citoyenneté de sept femmes aux profils très différents qui ont fait le choix de devenir bénévoles dans ce centre hospitalier. Outre les dons qu’elles collectent auprès de la population ukrainienne, elles consacrent plusieurs heures par semaine à prendre soin des blessés, leur apportant un soutien logistique et psychologique. Sans formation médicale et novices de l’action en commun, elles réinventent au quotidien les formes de solidarités interpersonnelles et de l’agir citoyen.
Leur engagement se fait cependant au détriment de leurs positions sociales et de leurs sociabilités anciennes, quitte à les marginaliser et à les précariser, les enfermant, peu à peu et au long cours, dans ce rôle de bénévole sur fond d’enlisement durable de cette guerre jusqu’à l’invasion militaire à grande échelle de l’Ukraine par la Russie. La fabrique du commun autour du soin aux blessés que Ioulia Shukan restitue nous explique ainsi le fonctionnement de la société ukrainienne et la solidité des liens sociaux qui la soutiennent face à l’adversité depuis 2014 et jusqu’aujourd’hui.
Ioulia Shukan est maîtresse de conférence en études slaves à l’Université Paris Nanterre et chercheure à l’Institut des sciences sociales du politique. Ses premiers travaux de sociologie politique concernaient deux États post-soviétiques (Ukraine, Biélorussie) et portaient sur les acteurs (élites communistes, députés), les institutions (Parlements, systèmes partisans et électoraux, mandat politique) et l’action collective (Révolution orange de 2004, Maïdan de l’hiver 2013-2014).
Depuis 2014, Ioulia Shukan travaille sur les mobilisations citoyennes à l’arrière du conflit armé dans le Donbass, à l’Est de l’Ukraine. Ses recherches s’inscrivent dans la continuité des approches qui décloisonnent l’objet « guerre » pour en faire un objet d’analyse sociologique et qui ancrent les conflits armés dans les pratiques sociales, les dynamiques locales et les situations d’incertitude entre guerre et paix ; elles s’articulent autour de deux grands axes.
Autrice Ioulia Shukan
Parution 19 juin 2025
Collection "54"


Ce que la question du genre dit des sociétés


Westkunst, 1981


Le corps du genre

