La fabrique d’une identité noire en France

Séminaire - jeudi 4 octobre 2018
Jeudi
04
octobre
2018
10:00
12:30
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Séminaire du CESSMA avec le groupe de recherche « Mondes Caraïbes et Transatlantiques en Mouvement »

Abdoulaye Gueye, Professeur de sociologie, Université d’Ottawa
Discutante : Maboula Soumahoro, Maîtresse de conférences, civilisationniste, Université de Tours.

Singulière carrière que celle de l’identité noire en France. Au moment où l’Assemblée Nationale entérinait l’exfiltration du mot race de la Constitution, le football mondial venait d’être à nouveau dominé par une équipe de France dont nombre de commentateurs français aux intentions fort différentes tenaient surtout à faire remarquer la composition majoritairement noire des membres. Ce qui ressort notamment de cette situation ironique, c’est la divergence de vues de deux parties sur la question de la race. D’un côté, une élite politique française rétive à toute référence à l’identité raciale des composantes de la nation française, notamment pour des raisons liées à un drame ayant terni sa propre histoire, l’Holocauste. D’un autre côté, une génération contemporaine de Français d’ascendance africaine laquelle, offrant bien des gages culturels et politiques de son appartenance à la société française, mais néanmoins envahie par le sentiment d’être confiné hors des frontières identitaires de la France, cherche dans la politique de la différenciation raciale son propre salut socio-économique.

La présente intervention se veut une analyse sociologique de cette tension. Elle montre comment sous la pression d’associations fondées par des Français d’ascendance africaine résolument dédiée à la reconnaissance des particularismes, l’élite politique et culturelle française, à travers des institutions ou représentants légitimes de la République, participent à la production d’une politique différentialiste fondée sur l’identité raciale, en même temps qu’elle multiplie des actes symboliques et des déclarations fustigeant la race. La formation d’une identité noire en France procède donc d’une stratégie minutieusement élaborée par des activistes d’ascendance africaine, lesquelles mobilisant les ressources disponibles au sein des populations africaines et caribéennes de France ont réussi à légitimer l’usage d’identifiants à caractère racial tels que « ministre noire », « journaliste noir », « acteur noir » jusque dans les milieux les plus attachés à la protection de l’idéologie républicaine de l’indifférence à la couleur. Cette intervention se départit ainsi de l’approche institutionnelle qui caractérise la plupart de travaux qui s’inscrivent dans la littérature dite de « la question noire » ; elle place au centre de l’analyse les initiatives et discours des associations créées par des citoyens français d’ascendance africaine. 

Les matériaux à partir desquels s’élabore l’analyse consistent essentiellement en des comptes rendus de réunions tenues au sein des associations en question, des correspondances entre membres de ces associations, des données d’entretien avec ces activistes, et enfin des archives écrites ou visuelles produites qui émanant d’institutions politiques et culturelles françaises.

 

 

Publié le 4 octobre 2018