Attribution du Prix Mattei Dogan 2021

Deux lauréat·e·s pour le prix Mattei Dogan 2021
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Le prix d'Histoire sociale Mattei Dogan est décerné à une thèse de doctorat traitant d’un sujet d’histoire sociale, dans le sens le plus large du terme, du XIXe au XXIe siècle, et portant sur la France, un ou plusieurs pays étrangers ou un sujet transnational.

 

Le prix de l’année 2021 a été décerné à deux lauréat·e·s :

 

Thibault BECHINI, « Des villes migrantes : Marseille, Buenos Aires. Construire et habiter les périphéries urbaines au temps des migrations italiennes (1860-1914) » (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2020)

Résumé

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Entre le milieu du XIXe siècle et la Première Guerre mondiale, Marseille et Buenos Aires connaissent une expansion urbaine sans précédent, étroitement liée à l'arrivée de nombreux migrants originaires du jeune État italien. Au début des années 1860, les deux ports abritent les plus importants effectifs de population émigrée en provenance de la péninsule italienne ; à la veille de la Grande Guerre, à Marseille comme à Buenos Aires, les Italiens représentent un cinquième des habitants.

Dans une perspective comparée, ce travail étudie la territorialisation de la présence italienne dans les marges urbaines des deux villes ; il met en évidence la contribution des migrants aux mutations techniques et typologiques qui, dans la seconde moitié du XIXe siècle, affectent le secteur de la construction et le marché immobilier des quartiers périphériques. Dans une perspective translocale et de microhistoire globale, la thèse étudie les circulations humaines et matérielles qui permettent de faire une lecture réticulée des transformations urbaines. Pour ce faire, l'analyse recourt principalement aux minutes des juridictions civiles, justice de paix et tribunal de première instance, qui sont compétentes pour régler un grand nombre de litiges ayant trait à la propriété, à la construction et aux marchés immobilier et locatif. Instrument de production de la ville ordinaire, le litige civil permet de faire une histoire "par le mur", administrative et technique, des quartiers périphériques en cours d'urbanisation. Surface de contact tout autant que clôture, le mur mitoyen est en effet au cœur des nouveaux rapports de voisinage qui se tissent dans les quartiers étudiés. La reconstitution de trajectoires résidentielles et professionnelles permet de compléter l'analyse et d'observer la manière dont les migrants italiens investissent les périphéries urbaines, comme habitants et comme travailleurs spécialistes du bâtiment. Enfin, la thèse montre comment changement technique et changement social modifient, à la veille de la Première Guerre mondiale, les interactions économiques et les aspirations politiques dans les quartiers périphériques marqués par la présence italienne.

 

Jiawen SUN, « Corps et Politique dans la Chine Contemporaine. Sociologie de la souffrance parmi les anciens jeunes instruits envoyés dans les fermes militaires pendant la Révolution culturelle » (EHESS, 2020)

Résumé

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Le mouvement « Monter à la montagne et descendre à la campagne » de la République populaire de Chine, lancé en 1953, était un mouvement d’envoi vers les zones rurales qui a duré plus de 20 ans, et a touché près de 20 millions de jeunes citadins, que l’on nomme les jeunes instruits. Ce mouvement sociopolitique de l'ère Mao Zedong a influencé le processus de socialisation de toute une génération de Chinois et a changé radicalement leur trajectoire de vie. En tant que mouvement d’immigration forcée, il a causé un gaspillage des ressources humaines en Chine pendant plus d’une décennie, et son impact profond s’est même poursuivi dans l’ère post-Mao. Dans cette thèse, les jeunes instruits qui ont été envoyés dans des fermes militaires pendant la Révolution Culturelle ont été choisis en tant qu’objet de recherche, les difficultés et les souffrances qu’ils ont subies, notamment les douleurs corporelles, les traumatismes mentaux et la privation des valeurs, dans leur parcours de vie ont été examinés. Cette étude multidisciplinaire mobilise des théories et des méthodes des diverses domaines (y compris, mais sans s’y limiter : la sociologie du corps, l’histoire des mentalités, l’anthropologie médicale, les sciences politiques, la philosophie, la psychologie et la psychanalyse), afin de construire un cadre de recherche sociologique, unique en son genre, sur la souffrance subie par les jeunes instruits, apportant ainsi un complément méticuleux et convaincant à la recherche sur les traumatismes culturels et la dépression politique à l’époque maoïste et sur ses conséquences contemporaines. En examinant la production de la souffrance structurelle des jeunes instruits et en retraçant ses racines historiques, sociales et culturelles, ainsi qu'en révélant les revendications collectives de cette génération et la formation de sa narration particulière dans un contexte politique spécifique, cette étude apporte une triple contribution à la recherche en histoire sociale chinoise contemporaine. D’abord, elle utilise la souffrance de la génération des jeunes instruits comme un prisme pour refléter l’histoire de la transformation de la société chinoise depuis de plus d’un demi-siècle, en présentant les cicatrices physiques et spirituelles laissées par les traumatismes historiques et sociaux sur les individus. Ensuite, elle relie les mouvements politiques de l’ère maoïste et leurs conséquences contemporaines, une perspective historique introduite afin d’aider à la réflexion sur les mécanismes qui façonnent les événements sociaux traumatisants et sur leurs potentielles répétitions. Enfin, dans cette thèse, la précieuse voix des « petits hommes sans nom » a été enregistrée, des manières possibles d’écrire l’histoire permettant de lutter contre l’amnésie structurelle ont été proposés, ce qui permettra in fine de contrecarrer la formation du « non-événement ».

 


Le jury était composé de :

Jean-François Chanet, Sciences Po. Recteur de l'académie de Besançon et de la région académique Bourgogne Franche-Comté

Irène Favier, Université de Grenoble

Patrick Fridenson, EHESS /CRH

Hervé Joly, CNRS, IEA de Lyon

Anne Rasmussen, Présidente, EHESS/CAK

Charlotte Vorms, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Publié le 8 juin 2021