Séminaire International de Sémiotique à Paris

Année 2021-2022

Cartographies des relations, expériences de l’espace

Représentations du sens en espace et ancrage spatial de la signification

Le Séminaire international de sémiotique a déjà essayé de faire le point sur la sémiotique de l’espace entre 2008 et 2009 en travaillant sur les relations entre la spatialité perceptive et la mise en forme linguistique de l’espace selon des élaborations figuratives et narratives. Dans un premier bilan rédigé[1], on a pu constater que pas mal des questions étaient encore ouvertes. En particulier, la significativité des transpositions entre expérience de l’espace et discours sur l’espace laissait encore dans l’ombre une véritable problématisation de l’espace, en dehors de celui qui est apparemment maîtrisé à travers la déclinaison figurative et l’économie propre à un monde possible élaboré textuellement. En effet, l’espace textuel ne peut pas être conçu comme une construction unilatérale : la structuration d’un site comme ancrage d’une pratique énonciative relève nécessairement d’une série de relations dialogiques. L’espace pratique se définit au fur et à mesure que l’on apprécie la dialectique modale entre les actes et les réactions de l’entour, et même l’espace mis en discours semble souvent échapper à des saisies stables et objectivables (mise en perspective) au profit d’un environnement à la fois perméable et sinueux, atmosphérique et débordant.

Les conclusions des séminaires 2008-09 indiquaient alors (1) que la spatialité ne peut pas être traitée comme une évidence ; (2) que la générativité des espaces (sensoriel, perceptif, énonciatif, énoncé, pratique, institutionnel, etc.) se présente moins comme une suite de transformations à partir d’une origine que comme un circuit de constitutions, (3) que nous sommes face le plus souvent à une flexibilité et une instabilité de l’espace comme signification.

Il nous semble opportun de reprendre ces interrogations et les transformer dans un nouveau projet de recherche collective qui puisse tenir compte des avancements théoriques produits ces dernières années et d’une sensibilisation majeure pour les réflexions écologiques (voir les éditions plus récentes de notre séminaire). Ce projet s’accompagne aussi d’une proposition méthodologique, celle de commencer nos travaux par la réalisation d’une cartographie des perspectives que la sémiotique a utilisées pour aborder une théorie et une analyse de l’espace (topologies, topiques narratives, univers figuratifs, présence et deixis, espace d’implémentation, etc.). L’idée est de construire notre recherche collective à partir d’un état de l’art, qui sera alors distribué sur plusieurs séances, chaque intervention devant idéalement nous inviter à relire aussi des travaux qui ont déjà donné des contributions heuristiques importantes.

Pour construire le programme, nous avons retenu deux critères fondamentaux : (i) des espaces différenciés selon des approches épistémologiques (espace de modélisation, espace praxéologique, espace discursif, espace d’implémentation, espace de présence, environnement, etc.) ; (ii) des espaces-occurrences dont la complexité peut nous solliciter, pendant leur description, la réarticulation entre les plans de la théorie (par ex. l’installation artistique).

Sur le plan thématique, nous voulons suggérer de prendre en compte la coprésence paradoxale de deux tendances :

  1. la première procède à une virtualisation progressive de l’espace, avec la compénétration de plusieurs contextes de référence (pratiques interactionnelles en distanciel, multiplication des écrans), l’“augmentation” numérique des propriétés des objets, la conversion des pratiques collectives en visualisations de big data. La cartographie cognitive (cognitive mapping) de l’espace de vie, développée par les acteurs sociaux, donne lieu de plus en plus à une épisémiotique des topiques existentielles, dans lesquelles les systèmes d’orientation et de détection sont couplés avec des instruments, des médiations numériques, en constituant ainsi des modélisations, voire de véritables théories de l’espace. Ainsi, les imaginaires spatiaux reçoivent aujourd’hui un plan de l’expression, en ouvrant ainsi à une anthropo-sémiotique de l’espace qui peut réinterroger la relation entre les espaces de représentation de la théorie et les espaces diagrammatiques à travers lesquels la cartographie mentale des acteurs cherche à gérer un espace expérientiel de plus en plus pluralisé et virtualisé[2] ;
  2. la deuxième tendance concerne le paradigme écologique, dans lequel l’espace est convoqué comme niche à laquelle notre vie est couplée. À la représentation écranique (visualisation), au caractère immatériel d’un espace cognitif s’oppose alors la thématisation de l’ancrage, les implications modales liées au fait d’habiter l’espace, le monitorage intégrateur des connexions vitales (Gaïa). Encore une fois, on peut constater que les modèles de la théorie peuvent entrer dans une relation dialogique avec ses paradigmes écologiques ; ils acceptent alors d’héberger une hétérogénéité majeure, de sortir d’une visualisation par plans descriptifs au profit de la prise en compte de couplages, compénétrations, circuits ; l’espace même relèverait d’une morphogènese caractérisée par des seuils qualitatifs et par des synthèses qui ne peuvent pas être réduits aux formes spatiales précédentes.

Une culture de l’espace ne peut que créer des résonances entre iconisations de la théorie et thématisations de l’espace vécu, les médiations sémiotiques et les élaborations discursives témoignant largement de cette épistémè traversée naturellement par des accords et des conflits, des convergences et des démarquages. À ce propos, l’exemplification de l’opposition entre deux tendances générales ne veut pas avoir une valeur diagnostique ou heuristique, mais seulement suggérer une ligne de recherche qui consiste à penser les relations entre, d’une part, les espaces dans lesquels la théorie se construit et, d’autre part, les espaces conçus pour et par les pratiques sémiotiques.

Sur le plan méthodologique, nous souhaitons situer les interventions dans l’articulation entre des espaces différemment élaborés et négociés sur le plan théorique et/praxique. Il est évident que certaines articulations ont été déjà abordées, comme celle entre l’espace discursif et l’espace d’implémentation d’une œuvre d’art, mais même dans ce cas, plusieurs aspects restent à décrire et à préciser. La sémiotique du projet a travaillé sur les relations entre espace de modélisation et espace de production, mais plusieurs conversions entre les deux sont encore peu explorées, au moins du point de vue sémiotique. On voit bien que la liste serait longue. Parfois la pertinence sémiotique reste problématique, voire à construire (par ex. les relations entre les niches propres aux formes de vie et l’environnement). Dans d’autres cas la sémiotisation de l’espace se présente comme une approche privilégiée, mais largement fragmentaire (les topiques des juridictions de sens avec leurs fondements, leurs lieux institutionnels, leurs périmètres d’action légitime, leurs espaces d’influence, etc.).

Pour résumer, la proposition de cette année se situe au croisement de deux enjeux principaux : solliciter une réflexion sur les espaces de représentation, de modélisation, de description de la sémiotique actuelle ; tester le « tournant écologique » à partir de nouveaux apports de la sémiotique à la théorie de l’espace (P. Basso Fossali).


[1] Denis Bertrand et Jean-François Bordron, « Bilan provisoire du séminaire “Espace et signification, I” (2008-2009), Nouveaux Actes Sémiotiques, n. 112.

[2] Sans vouloir généraliser, on constate la présence symptomatologique d’un malaise : plus les cartes et les monitorages sont nombreux, plus le sentiment de désorientation, de perte de toute possibilité de s’auto-localiser, est grand.


Les séances se tiendront à la Maison Suger (FMSH)
16-18 rue Suger, 75006 Paris
Le mercredi de 13h45 à 17h00

Calendrier

Coordinateurs

Pierluigi Basso Fossali, Maria Giulia Dondero, Anne Beyaert-Geslin, Marion Colas-Blaise


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Publié le 14 décembre 2021