Un des principaux traits qui ont fait l’Europe est cette étrange affaire qu’elle a nouée avec « Dieu ».
De fait, que celle-ci soit la grande équivoque a plutôt étendu son empire, consolidé son emprise. Car, qu’il soit conçu comme Dieu personne ou Dieu principe, celui d’Abraham ou celui « des philosophes et des savants », le Dieu fondé dans l’Être ou le Dieu rencontré comme Autre, « Dieu » ne cesse d’habiter polémiquement notre conscience de l’Incommensurable et de l’absolu.
Même si « Dieu est mort », la question de Dieu nous hante encore.
Or, la Chine n’a pas tramé de grande histoire avec Dieu.
Elle en a bien composé une figure, dans la haute Antiquité, en tant que « Seigneur d’en haut », Shangdi, mais l’idée ne s’en déploie pas.
Car, à peine formée, celle-ci a commencé de se transformer sous l’avènement de la figure du « Ciel », qui la relaie ; et celle-ci en vient progressivement à incarner le Fonds sans fond du grand procès du monde et sa régulation infinie.
En prônant un « respect attentif » à l’égard des puissances transcendantes et non le vertige de l’angoisse, en donnant la priorité au « rite » plutôt qu’à la prière, aux vertus du tracé plutôt qu’à la Parole, comme aussi en ne posant pas de début premier, à justifier, ni ne composant de Grand récit, la Chine a conçu la « voie », tao, comme la voie de la viabilité – du cours des choses comme de la conduite – et non du Salut.
« Dieu » s’en est trouvé marginalisé, progressivement évacué. Comme la Chine n’a pas pensé en termes d’« être », ne se rencontre même pas la question de son existence ; et la « foi » n’a pas pris consistance. « Dieu », en Chine, n’a pas fait problème.
Aussi quand il demande : « Lequel est le plus croyable des deux : Moïse ou la Chine ? », Pascal perçoit bien quelle alternative soudain se fait jour désemparant un des grands partis pris de notre esprit.
Elle pourrait servir, non pas à critiquer Dieu, ce qu’on sait si bien faire, et depuis si longtemps, mais à en sonder plus radicalement la pensée.
Car le non-déploiement de la pensée de Dieu permet de dévisager par écart, de ce dehors chinois, ce qu’il en est de Dieu dans sa possibilité même. Et non plus simplement « du dedans », en s’inspirant de la double source, grecque et philosophique ou bien hébraïque-chrétienne-islamique, comme nous l’avons toujours fait.
Plus radicale, en effet, que toute « différence » culturelle, c’est cette indifférence de la Chine à l’endroit de Dieu – elle qui a tant étonné les premiers missionnaires – qui peut donner à réfléchir à la fois notre pensée et notre passion de Dieu.
Lieu : École des mines, 60, boulevard Saint Michel, 75006 Paris
Attention : Á partir du 20 février 2020 le séminaire arrive à la Fmsh, 54, boulevard Raspail, 75006 Paris
Horaires inchangés : le jeudi de 18h à 20h à partir du 21 novembre 2019