Attribution du Prix Mattei Dogan 2017

Deux lauréats : Clélia CORET et Mathieu MARLY
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Le prix d'Histoire sociale Mattei Dogan est décerné à une thèse de doctorat traitant d’un sujet d’histoire sociale, dans le sens le plus large du terme, du XIXe au XXIe siècle, et portant sur la France, un ou plusieurs pays étrangers ou un sujet transnational. Le prix de l’année 2017 a été décerné ex-æquo à deux lauréats :

Clélia CORET, « La refondation d’une cité swahili à Witu. Écriture de l’histoire et légitimation du pouvoir au nord de la côte est-africaine (1812-1895) » (Université Paris 1, 2016)

Source : A.H. Schrey, Die ersten deutschen Posteinrichtungen an der Ostküste Afrikas mit einem Anhang über die Sultanatspost Wituland und Malakote, Kassel, Press-Druck- und Verlags-GmbH Augsburg, 1961, p. 39.

Située à la croisée de trois champs historiographiques – sur l’aire est-africaine (ou swahili), les contacts avec les Européens avant la colonisation en Afrique et l’écriture de l’histoire – cette thèse a analysé les dynamiques politiques et sociales qui ont sous-tendu des mises par écrit et en récit du passé au xixe siècle. Sur le littoral de l’actuel Kenya, une cité-État fut fondée à Witu en 1862 par des élites urbaines en exil. Fragilisées par le sultanat omanais de Zanzibar puis par la Grande Bretagne, les autorités de la cité s’appuyèrent sur leurs alliés locaux et leurs dépendants (esclaves marrons), ainsi que sur la présence des Allemands. Dans le contexte de ces rivalités régionales et impériales, des récits à caractère historique (chroniques, généalogies) virent alors le jour sur la dynastie au pouvoir à Witu. Le « besoin » d’histoire qui s’exprimait répondait à la nécessité de légitimer des revendications territoriales, politiques et coloniales. À travers la production de textes de nature composite et de bricolages de récits agencés plus ou moins habilement, il est apparu que la renégociation des compromis sociaux jusque là établis a provoqué la mobilisation du passé comme stratégie pour venir légitimer et renforcer un pouvoir vacillant.

 

Mathieu MARLY, « L’âme des régiments. Promotion, recrutement et discipline dans les rangs de l’armée française (1872-1914) » (Université Lille 3, IRHiS, 2015)

De 1872 à 1914, l’armée française s’ouvre à un ensemble toujours plus grand de Français venus accomplir leur service militaire obligatoire. L’armée devient alors une « armée nationale » en ce sens qu’elle réunit la nation et l’institution militaire à travers l'imaginaire politique du « soldat-citoyen ». Au-delà des discours et des postures idéologiques entourant le thème de l’armée nationale, l’objectif de cette recherche est de comprendre comment l’institution militaire a été transformée par l’universalisation progressive du service et de saisir les effets éventuels de celui-ci dans la société française de la Belle Époque. L’approche méthodologique retenue est celle d’une socio-histoire de l’armée, réalisée à partir d’un groupe méconnu, celui des sous-officiers dont la position et le statut permettent d’explorer les mécanismes ordinaires de la promotion hiérarchique et de la discipline dans le rang. Cette approche permet de comprendre comment la défense d’une « spécificité militaire » a renforcé la domination symbolique des officiers sur la troupe. L’attention portée à l’avancement révèle également la progression, à tous les niveaux de la hiérarchie, du principe de la méritocratie scolaire qui transforme les rapports sociaux et hiérarchiques dans l’armée. Enfin, l’étude des « règles du jeu » disciplinaires par lesquelles les sous-officiers exercent leur contrôle sur la troupe permet de mieux cerner les raisons de l’obéissance militaire obtenue dans les casernes avant 1914. Ces dynamiques éclairent en définitive l’organisation d’une institution dont les critères de recrutement, de promotion et les techniques disciplinaires, élaborés en temps de paix, ne disparaissent pas dans les tranchées de la Première Guerre mondiale.

 

Légende : « Ne croyez pas que, redevenus civils, vous cesserez d’être nos inférieurs ». Source, Dessin de Gustave Henri Jossot dans L’Assiette au beurre, n° 43, 25 janvier 1902.

 

La remise de prix officielle aura lieu le mercredi 8 juin 2017 à 18h00 à la Maison Suger (16-18 rue Suger, 75006 Paris). La remise du prix sera suivie d'un cocktail.

Publié le 1 juin 2017