Interview with Jean-Christophe Balois-Proyart

Workers and manufacturers in the age of commodity capitalism. From the disincorporation of trades to the incorporation of work (France, 1789-1848)
Mattei Dogan visuel lauréat 2023

The Mattei Dogan Foundation Social History Prize has been awarded every two years since 2009 to a doctoral thesis dealing with a subject of social history, in the broadest sense of the term, from the 19th to the 21st century, and focusing on France, one or more foreign countries or a transnational subject.

The Mattei Dogan Foundation Social History Prize for 2023 is awarded to Jean-Christophe Balois-Proyart for his thesis "Workers and manufacturers in the age of commodity capitalism. From the disincorporation of trades to the incorporation of work (France, 1789-1848)". In this interview, Jean-Christophe talks about his project, his career and the impact of this prize on his career. (Interview in French)

Pouvez-vous nous présenter votre parcours ?

J’ai réalisé ma thèse de doctorat au sein de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et du laboratoire Institutions et Dynamiques Historiques de l'Économie et de la Société (UMR 8533) sous la direction de Madame Dominique Margairaz et de Monsieur Jean-François Chanet.

Mon mémoire de master 1, dirigé par Dominique Margairaz portait sur la question des subsistances à Paris sous la Révolution française, analysée à partir des procès-verbaux d’un commissaire de police. Après avoir obtenu l’agrégation d’histoire en 2009, j’ai voulu découvrir d’autres horizons et j’ai travaillé dans des associations en tant qu’enseignant de Français langue étrangère et en tant qu’appui à la vie associative.

En 2011/2012, j’ai repris mes recherches, en master 2. Celles-ci consistaient en une préparation à mon sujet de thèse puisque je me me suis intéressé au moyen d’une base de données aux litiges de travail portés devant deux justices de paix parisiennes pendant la Révolution et au début des années 1830.

J’ai, ensuite, bénéficié d’un contrat doctoral, puis de contrats d’ATER à mi-temps, trois années de suite, à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne avant d’ enseigner au collège Louis Pasteur de Villejuif et, enfin, de retrouver l’Université Paris 1 en tant que PRAG au sein du Pôle informatique de recherche et d’enseignement en histoire (PIREH) en 2020 pour y enseigner les méthodes quantitatives et statistiques aux étudiants en histoire de la L1 au doctorat. J’ai également eu la chance d’être soutenu par la Fondation des Treilles.

Ma recherche doctorale a largement bénéficié des relations que j’ai pu nouer au sein de l’École doctorale de l’Université Paris 1. Par ailleurs, au sein de l’IDHE.S, en particulier à l’occasion du séminaire « État, travail et société (France et Angleterre, XVIIIe-XIXe siècles) », j’ai rencontré des chercheurs avec qui je partage centres d’intérêts et méthodes de travail. Plus largement ma thèse s’inscrit dans « l’école d’histoire économique » de Lille-3, dont les représentants les plus éminents sont Gérard Gayot et Jean-Pierre Hirsch. 

Pouvez-vous nous présenter votre projet de recherche récompensé par le Prix Mattei Dogan ?

Mes recherches doctorales se sont inscrites dans les révisions du récit de la Révolution industrielle initiées dans les années 1970. S’est récemment imposée l’idée que la première industrialisation a eu lieu au sein d’une organisation économique et sociale dans laquelle le partage de la valeur se joue principalement dans le contrôle des approvisionnements et des débouchés. Mais les relations de travail n’avaient pas constitué un champ d’étude majeur pour les historiens analysant les ressorts de ce « capitalisme marchand ». J’ai cherché à mettre au jour les principaux points d’achoppement dans les relations entre fabricants et ouvriers et à reconstituer les conditions de régulation de ces tensions afin de vérifier leur cohérence avec l’hypothèse d’une organisation et d’une discipline du travail de type marchand. À cet effet, j’ai dépouillé en priorité les fonds des conseils de prud’hommes. Ceci m’a conduit à m’intéresser particulièrement aux « Fabriques collectives ».

Cette thèse montre que les relations de travail de la première industrialisation restent, en France, des relations de type marchand et donc que les difficultés liées à la sous-traitance généralisée sont centrales. J’ai établi le caractère marchand des relations de travail de plusieurs points de vue. D’abord, j’ai montré que le contrat de louage d’ouvrage est le principal contrat utilisé dans la plupart des secteurs manufacturiers. Le contrôle du procès de travail et la fixation du prix du travail sont médiatisés par l’évaluation des matières premières confiées et par celle des produits livrés. Ces évaluations sont donc des moments de vives tensions. La gestion des risques inhérents à la mise en œuvre des matières confiées aux ouvriers par les fabricants apparaît comme une tension fondamentale des relations de travail dans une économie caractérisée par une maîtrise partielle des procédés de production et donc par une faible capacité de reproduction de ces opérations ainsi que par une croissance de type extensif.

D’autre part, le contrôle des marchés – marchés du travail, marchés des encours de production et marchés des produits – reste un enjeu essentiel des régulations du travail. Il existe une forte concurrence pour la main-d’œuvre : du fait de son instabilité, les donneurs d’ouvrage ont de grandes difficultés à la conserver. Ce phénomène s’explique par la forte variation des besoins en main-d’œuvre, elle-même causée par l’instabilité de la demande et des approvisionnements ainsi que par la saisonnalité des activités agricoles. Les régulations du marché du travail apparaissent dès lors comme un point d’achoppement fondamental dans les rapports entre ouvriers et fabricants. En outre, la monopolisation des marchés des matières premières et des débouchés demeure une ligne d’affrontement fondamentale, que les progrès de la marchandisation rendent plus saillante encore.

Le choix de la période qui va de la Révolution française à la Révolution de 1848, lorsqu’on s’intéresse au cas français, conduit nécessairement à prendre pour objet les conséquences et les effets de la désincorporation, des déréglementations de l’économie et de la mise en place d’un nouvel ordre manufacturier.

Du point de vue de la régulation des relations de travail, il est apparu que les insuffisances de la discipline monétaire du travail sont compensées par les régulations locales mises en place autour des conseils de prud’hommes, en lien avec les municipalités et les chambres des Arts et Manufactures ou les chambres de Commerce, d’une part et par les dispositifs des livrets et des livres d’acquit d’autre part.

Cette recherche a confirmé la tension entre la liberté du Commerce et de l’Industrie et l’individualisme juridique, d’une part, et, les revendications et les pratiques des marchands, des fabricants et des ouvriers, d’autre part. Parmi les agents économiques il n’y a d’attachement idéologique ni pour le libéralisme économique ni pour l’individualisme juridique, mais seulement une utilisation pragmatique de ces principes en fonction de la configuration. Les normes libérales et individualistes sont en particulier très problématiques pour les marchands et les fabricants des « Fabriques collectives » : ces normes se révèlent inadaptées au caractère collectif de leurs débouchés, de leurs mains-d’œuvre, de leurs approvisionnements et de leurs innovations. Il a donc fallu que ces « Fabriques collectives » trouvent en elles-mêmes des forces centripètes très puissantes pour conserver leur cohésion. J’ai observé un hiatus prononcé entre les positions intransigeantes du bureau des Arts et Manufactures et les régulations mises en place au niveau local.

Pour quelles raisons avez-vous choisi d’étudier cette thématique ?

Dominique Margairaz avec qui j’ai réalisé mon master 1 m’a proposé un sujet d’envergure : la fabrique de la politique dans le travail entre la Révolution française et la Révolution de 1848. Il s’agissait, en suivant les conclusions de Liliane Hilaire-Perez, de tester l’hypothèse selon laquelle la recomposition de la division du travail, transverse aux métiers, aurait pu être à l’origine du dépassement des mobilisations et des cultures professionnelles au profit de mobilisations et d’une culture interprofessionnelles. C’est bien en 1848 qu’a pu être lancé le slogan « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! » en même temps qu’ont pu s’exprimer de nombreuses revendications de fermeture du marché du travail. Il s’agissait également de s’intéresser aux conséquences de la Révolution française dans l’expression des conflits liés au travail.

Pour tester ces hypothèses Dominique Margairaz m’a proposé un terrain d’investigation, à savoir les fonds des justices de paix dont elle avait éprouvé l’intérêt et les fonds des conseils de prud’hommes dont Alain Cottereau avait montré tout l’intérêt.

Elle savait, à raison, que ce sujet pourrait m’intéresser, elle n’avait probablement pas mesuré à quel point il me passionnerait. Mes origines familiales expliquent sans doute l’intérêt que j’ai pu porter à un tel sujet qui nécessitait de s’intéresser aux relations de travail dans leurs détails concrets afin de contribuer à la compréhension de l’émergence du mouvement ouvrier.

Quel a été impact de l’obtention du Prix Mattei Dogan dans le cadre de votre projet de recherche ?

L’obtention de ce prix prestigieux me permet d’envisager sereinement la publication de ma thèse de doctorat. Je suis fier que le jury du prix Mattei Dogan ait jugé que ma démarche, mes résultats et mes conclusions sont dignes d’une telle distinction. Pour moi c’est une reconnaissance de l’apport de mon travail d’histoire économique et sociale à la compréhension des relations sociales et des conflits politiques de la première moitié du XIXe siècle.

Que peut-on vous souhaiter pour la suite ?

D’avoir l’occasion et les moyens de poursuivre ces recherches et de me consacrer à un autre sujet qui me passionne autant.

Selon vous, en quoi est-il nécessaire de soutenir les chercheurs en SHS et particulièrement la jeune recherche ?

La réalisation des recherches historiques suppose un investissement particulièrement important en termes d’investigation et de dépouillement archivistiques ainsi que de traitements des données. Ce dont les historiens ont le plus besoin c’est de temps pour pouvoir traiter de manière approfondie leur sujet afin de parvenir à des conclusions ayant un haut degré de généralité.

Cette thèse montre que les relations de travail de la première industrialisation restent, en France, des relations de type marchand et donc que les difficultés liées à la sous-traitance généralisée sont centrales. J’ai établi le caractère marchand des relations de travail de plusieurs points de vue

Votre thèse d'intéresse Pouvez-vous nous présenter votre projet de recherche récompensé par le Prix Mattei Dogan ?

Mes recherches doctorales se sont inscrites dans les révisions du récit de la Révolution industrielle initiées dans les années 1970. S’est récemment imposée l’idée que la première industrialisation a eu lieu au sein d’une organisation économique et sociale dans laquelle le partage de la valeur se joue principalement dans le contrôle des approvisionnements et des débouchés. Mais les relations de travail n’avaient pas constitué un champ d’étude majeur pour les historiens analysant les ressorts de ce « capitalisme marchand ». J’ai cherché à mettre au jour les principaux points d’achoppement dans les relations entre fabricants et ouvriers et à reconstituer les conditions de régulation de ces tensions afin de vérifier leur cohérence avec l’hypothèse d’une organisation et d’une discipline du travail de type marchand. À cet effet, j’ai dépouillé en priorité les fonds des conseils de prud’hommes. Ceci m’a conduit à m’intéresser particulièrement aux « Fabriques collectives ».

Cette thèse montre que les relations de travail de la première industrialisation restent, en France, des relations de type marchand et donc que les difficultés liées à la sous-traitance généralisée sont centrales. J’ai établi le caractère marchand des relations de travail de plusieurs points de vue. D’abord, j’ai montré que le contrat de louage d’ouvrage est le principal contrat utilisé dans la plupart des secteurs manufacturiers. Le contrôle du procès de travail et la fixation du prix du travail sont médiatisés par l’évaluation des matières premières confiées et par celle des produits livrés. Ces évaluations sont donc des moments de vives tensions.

Le choix de la période qui va de la Révolution française à la Révolution de 1848, lorsqu’on s’intéresse au cas français, conduit nécessairement à prendre pour objet les conséquences et les effets de la désincorporation, des déréglementations de l’économie et de la mise en place d’un nouvel ordre manufacturier.

Cette recherche a confirmé la tension entre la liberté du Commerce et de l’Industrie et l’individualisme juridique, d’une part, et, les revendications et les pratiques des marchands, des fabricants et des ouvriers, d’autre part. Parmi les agents économiques il n’y a d’attachement idéologique ni pour le libéralisme économique ni pour l’individualisme juridique, mais seulement une utilisation pragmatique de ces principes en fonction de la configuration. Les normes libérales et individualistes sont en particulier très problématiques pour les marchands et les fabricants des « Fabriques collectives » : ces normes se révèlent inadaptées au caractère collectif de leurs débouchés, de leurs mains-d’œuvre, de leurs approvisionnements et de leurs innovations. Il a donc fallu que ces « Fabriques collectives » trouvent en elles-mêmes des forces centripètes très puissantes pour conserver leur cohésion. J’ai observé un hiatus prononcé entre les positions intransigeantes du bureau des Arts et Manufactures et les régulations mises en place au niveau local.

Pour quelles raisons avez-vous choisi d’étudier cette thématique ?

Dominique Margairaz avec qui j’ai réalisé mon master 1 m’a proposé un sujet d’envergure : la fabrique de la politique dans le travail entre la Révolution française et la Révolution de 1848. Il s’agissait, en suivant les conclusions de Liliane Hilaire-Perez, de tester l’hypothèse selon laquelle la recomposition de la division du travail, transverse aux métiers, aurait pu être à l’origine du dépassement des mobilisations et des cultures professionnelles au profit de mobilisations et d’une culture interprofessionnelles. C’est bien en 1848 qu’a pu être lancé le slogan « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! » en même temps qu’ont pu s’exprimer de nombreuses revendications de fermeture du marché du travail. Il s’agissait également de s’intéresser aux conséquences de la Révolution française dans l’expression des conflits liés au travail.

Pour tester ces hypothèses Dominique Margairaz m’a proposé un terrain d’investigation, à savoir les fonds des justices de paix dont elle avait éprouvé l’intérêt et les fonds des conseils de prud’hommes dont Alain Cottereau avait montré tout l’intérêt.Elle savait, à raison, que ce sujet pourrait m’intéresser, elle n’avait probablement pas mesuré à quel point il me passionnerait. Mes origines familiales expliquent sans doute l’intérêt que j’ai pu porter à un tel sujet qui nécessitait de s’intéresser aux relations de travail dans leurs détails concrets afin de contribuer à la compréhension de l’émergence du mouvement ouvrier.

Je suis fier que le jury du prix Mattei Dogan ait jugé que ma démarche, mes résultats et mes conclusions sont dignes d’une telle distinction. Pour moi c’est une reconnaissance de l’apport de mon travail d’histoire économique et sociale à la compréhension des relations sociales et des conflits politiques de la première moitié du XIXe siècle.

Quel a été impact de l’obtention du Prix Mattei Dogan dans le cadre de votre projet de recherche ?

L’obtention de ce prix prestigieux me permet d’envisager sereinement la publication de ma thèse de doctorat. Je suis fier que le jury du prix Mattei Dogan ait jugé que ma démarche, mes résultats et mes conclusions sont dignes d’une telle distinction. Pour moi c’est une reconnaissance de l’apport de mon travail d’histoire économique et sociale à la compréhension des relations sociales et des conflits politiques de la première moitié du XIXe siècle.

Prix Mattei Dogan

Social History Mattei Dogan Prize

Prize of the Foundation Mattei Dogan and of the FMSH for a thesis of excellency
Prix Mattei Dogan
Meeting

Mattei Dogan Award Ceremony

Award for outstanding doctoral theses on a social history
Published at 4 December 2023