Stigmates et mémoires de l'esclavage en Afrique de l'Ouest : le sang et la couleur de peau comme lignes de fracture

Working paper d'Ibrahim Thioub
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L'administration coloniale française a été confrontée à de sérieux obstacles pour la mise en oeuvre du décret du 27 avril 1848 abolissant l'esclavage dans les colonies. La profession de foi antiesclavagiste des puissances impériales européennes ne s'est nulle part en Afrique traduite en positions fermes de répression des pratiques esclavagistes. Des textes législatifs ont certes été votés, des décisions s'attaquant aux trafics esclavagistes prises suivant les conjonctures mais très souvent, des arrêtés locaux et les pratiques administratives locales ont annihilé les engagements politiques pris en métropole sous la pression des activistes du mouvement abolitionniste. Il n'est dès lors pas étonnant que les pratiques esclavagistes aient perduré et survécu sous diverses formes en Afrique de l'ouest. Aujourd'hui encore, l'héritage et la réalité des pratiques esclavagistes se manifestent sous des formes multiples dans nombre de sociétés de la sous-région. La défaite politique et militaire des États autochtones n'a pas supprimé la force sociale et idéologique des groupes dominants des États vaincus. Les administrations coloniales ont eu un impérieux besoin de leur collaboration pour assurer la stabilité de leurs régimes en mal de légitimité autochtone. En conséquence, elles n'ont point été favorables à une révolution sociale remettant en cause l'hégémonie sociale des aristocraties vaincues qui ont réussi, suivant les régions, à préserver l'idéologie de la pureté de sang et celle de l'assignation identitaire chromatique, pour perpétuer les légitimités de l'esclavage domestique. Niant systématiquement l'existence de pratiques esclavagistes ou estimant sa réalité résiduelle et négligeable, les États ont favorisé la production de mémoires victimaires ciblant les traites exportatrices qui a servi à mettre un voile efficace sur les réalités contemporaines.

L'auteur

Ibrahima hioub est Professeur d’Histoire à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Ses recherches actuelles portent sur les esclavages en Afrique, sans se limiter au cas de la traite transatlantique. Une triple originalité oriente sa démarche : elle envisage ensemble les aspects économiques, sociaux, culturels et juridiques des esclavages ; elle situe l’histoire des traites dans l’histoire urbaine et environnementale du continent ; et enin elle porte une attention particulière aux enjeux de mémoire – sur le mode de la commémoration, de l’historiographie et de l’oubli.

Référence

Ibrahima Thioub. Stigmates et mémoires de l'esclavage en Afrique de l'Ouest : le sang et la couleur de peau comme lignes de fracture. FMSH-WP-2012-23. 2012.

 

Publié le 1 octobre 2012