Minerais de guerre. Une nouvelle théorie de la mondialisation du droit

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Gilles Lhuilier est président du Groupement d’intérêt scientifique « Global Legal Studies beetwen Asia and Europe  », consortium de recherche entre le C.N.R.S. (Hong-Kong, Tokyo, Taipei), l’E.S.S.E.C. Paris-Singapour, l’Université de Nagoya, Japon, et l’Université Jiao-Tong de Shanghai, Chine, et G.L.S.N. (« Global Legal Studies Network »), le réseau de recherche dédié à la mondialisation du droit de la Fondation Maison des sciences de l’homme (Paris). G.L.S.N. vise à relier les chercheurs, enseignants, experts, praticiens – Français et étrangers – qui consacrent leurs travaux à la mondialisation du droit (www.glsn.eu). Ce texte a été écrit dans le cadre du programme G.L.S.N. de la FMSH.

Les minerais de guerre (blood minerals), c’est-à-dire les minerais en provenance de République démocratique du Congo, sont la cause du conflit le plus sanglant depuis la seconde Guerre mondiale. Une réglementation mondiale du commerce de ces minerais s’élabore, qui mêle résolutions de l’O.N.U, lois américaines a effet extraterritorial, certification par les professionnels de l’industrie minière et clauses  de contrats de droit privé. L’examen de cette tentative de régulation mondiale du commerce des minerais reposant sur le product shopping est le dernier volet d’une recherche qui a retracé l’organisation juridique de l’industrie extractive africaine, des grandes joint venture minières aux contrats offset de compensation ressources minières vs. investissement, à l’établissement d’une justice commerciale internationale pour régler les litiges nés de ces contrats miniers. Cette recherche a montré comment, par les techniques de « choix de la loi », les entreprises transnationales construisent des agencements normatifs de règles principalement étatiques ou internationales au champ d’application extraterritorial, en des synthèses propres à chaque type de grands contrats. Les transnationales échappent ainsi – grâce aux pratiques juridiques partagées par la communauté des lawyers internationaux (tels le law shopping, le tax shopping, le liability shopping, le mystery shopping, le forum shopping, etc.) – à toutes les régulations nationales concernant, par exemple, le paiement d’impôts, l’éventuelle responsabilité en cas d’inexécution du contrat, la compétence de juges étatiques pour juger les conflits, etc.
En opérant un décentrement de l’analyse – c’est-à-dire en n’examinant plus l’État national, objet traditionnel des sciences juridiques, mais le sujet et ses pratiques, nouvel objet des global legal studies – il est possible d’esquisser une nouvelle approche de la mondialisation du droit : les « espaces normatifs ». Cette nouvelle unité d’analyse de la mondialisation peut être définie comme un agencement singulier composés de différents éléments, soit : les pratiques de choix de règles juridiques par les sujets ; les règles choisies ; les discours des sujets sur ces pratiques et règles – qui les orientent et les encadrent. C’est alors l’ensemble des catégories traditionnelles des sciences juridiques (la territorialité de la loi, les règles de conflit de loi et de juridiction, la localisation, l’ordre public, la représentation, etc.) qui doivent être repensées en contexte de mondialisation.

Publié le 7 juillet 2013