Les « gilets jaunes » ou la révolte des ronds-points

Intervention de Pierre BLAVIER, laboratoire Clersé, CNRS

« Les « gilets jaunes » ou la révolte des ronds-points. Éléments pour une entrée par les budgets des ménages »

La séance sera introduite par Arthur Jobert EDF R&D.

Commencée en novembre 2018 et poursuivie durant plusieurs mois, la mobilisation des Gilets Jaunes a pris de court la classe politique, les médias et les chercheurs en sciences sociales, par son caractère inattendu, son ampleur et ses modes d'action (occupation de ronds-points). Au cours de ses premières semaines, elle se caractérisait aussi par l'absence de représentants ainsi que de revendications claires, hormis l'abrogation d'un projet de loi visant à augmenter la fiscalité sur les carburants, qui devait entrer en vigueur en janvier 2019 et fut finalement abrogé dix jours après le début du mouvement. Un dernier aspect déroutant est son caractère géographique, puisqu'il a existé sur tout le territoire métropolitain, alors même qu'il ne répondait à l'appel d'aucune organisation politique instituée (parti politique, syndicat, association).
Étant donné ces particularités, il n'est pas surprenant que les sciences sociales aient eu du mal à "situer" ce dont il s'agissait, et en particulier en ce qui concerne les milieux sociaux qui y étaient engagés et leurs niveaux de vie. D'un côté, les inégalités socio économiques occupaient une place manifeste, et toutes les enquêtes font remonter une très nette sous-représentation des cadres, un taux de chômage un peu plus élevé que la moyenne nationale, et des niveaux de vie inférieurs. Mais, d'un autre côté, les milieux sociaux mobilisés ne correspondaient pas pour autant à la grande pauvreté.
C'est à la résolution de ce paradoxe qu'entend répondre Pierre Blavier dans Gilets jaunes - La révolte des budgets contraints (PUF, 2021), à partir d'une approche centrée sur les budgets de famille, entendus comme l'ensemble des manières monétaires et non-monétaires qui permettent à un ménage de "joindre les deux bouts".
Il s'agit de faire un pas de côté en s'intéressant certes aux contraintes financières, mais aussi aux modes de vie et aux organisations domestiques concrètes qui structurent le quotidien de ménages de Gilets Jaunes. Cette démarche conduit alors à s'intéresser à des aspects tels que la centralité de l'automobile, l'organisation du territoire et les marchés du travail et de l'immobilier, l'action publique et en particulier le système socio-fiscal, et bien entendu des enjeux écologiques.
Pierre Blavier questionnera, en résonnance avec la préoccupation actuelle de perte de pouvoir d’achat, ce qui est au cœur du mouvement des Gilets Jaunes : les tensions d'un mode de vie qui caractérisait jusque-là de larges franges des petites classes moyennes rurales et périurbaines.

Pierre Blavier est chargé de recherche au CNRS en sociologie et science politique à Lille au laboratoire Clersé (UMR 8019). Ses travaux portent sur les budgets de famille et les inégalités de conditions de vie, ainsi que sur les relations professionnelles et les mouvements sociaux.

Références

• Blavier P., 2021, Gilets jaunes, la révolte des budgets contraints, Paris, PUF, 231 p.
• Baciocchi S., Bidet A., Blavier P., Gayet-Viaud C., Le Méner E., 2020, « Qui vient à Nuit Debout ? Paris, place de la République, avril-juin 2016 Trois méthodes pour une question », Sociologie, 11, 3, p. 251-266.
• Blavier P., Haute T., Penissat É., 2020, « Du vote professionnel à la grève. Les inégalités de participation en entreprise », Revue française de science politique, 70, 3-4, p. 443-467.
• Blavier P., 2018, « Les réaménagements de la consommation en contexte de récession », Revue française de sociologie, Vol. 59, 1, p. 7-36.

En savoir +

• Découvrir le séminaire Énergies et transformations sociales
• Télécharger le programme des séminaires de l'année 2022-2023