Attribution du prix Ariane Deluz 2020

Mariage et possession : les nouveaux enjeux du pouvoir foncier à Mayotte
Prix Ariane Deluz - Aide au terrain

Le prix Ariane Deluz / aide à la recherche en ethnologie de l'Afrique subsaharienne pour l'année 2020 a été attribué par le Jury et la Fondation Maison des sciences de l'homme à Mme Mathilde HESLON, doctorante à l'EHESS (laboratoire CESPRA) et titulaire d'une bourse d'étude du Musée du Quai Branly-Jacques Chirac dont le sujet de thèse s'intitule "Jeunesses "en galère" à Mayotte : nouveaux enjeux du traitement de l'affliction et la parenté dans le plus récent département français".

Résumé de thèse

Comment le système de parenté mahorais s’adapte-t-il aux transformations actuelles du plus récent département français ? C’est l’une des questions à laquelle ma thèse sur les pratiques de soins de l’affliction de jeunes à Mayotte répond. La jeunesse mahoraise est en effet confrontée non seulement à une situation qui les laisse parfois en situation liminaire (chômage, précarité, sans diplôme, papiers ou héritage), mais aussi à des afflictions individuelles causées souvent par des rivalités (scolaires, sportives, de propriété terrienne). Si l’islam, les rituels de possession ou les associations médico-sociales sont des pratiques de soin auxquelles elle a recours, le mariage fut aussi un rituel d’affliction permettant aux individus de sortir de leur situation liminaire. Parmi ces recours, le prochain terrain propose donc d’ethnographier plus précisément deux d’entre eux qui connaissent des transformations notables en lien avec le système de parenté : celle de la nouvelle dimension prise par la cérémonie du grand mariage (appelé génériquement manzaraka) qui réaffirme l’uxorilocalité, et celle de l’affliction d’hommes par des esprits qui conforte l’héritage indifférencié par la transmission de ces esprits.

En 2016, j’ai effectué un premier terrain préalable à la thèse à Mayotte. J’avais pu assister à des rituels de possession et rencontrer le personnel soignant du Centre Médico-Social afin de mettre en place un projet de thèse qui souhaitait étudier différentes pratiques liées à la folie.
En 2017 et 2018, j’ai réalisé un terrain de seize mois lors duquel j’ai élargi l’analyse de la folie à celle des afflictions. En faisant cette fois de l’observation participante auprès de maîtres de possession, de maîtres islamiques et de travailleurs d’associations médico-sociales, j’ai été confronté à des situations aussi bien de précarité que de maladie, ou encore de migrations que de conflits familiaux vécus par les consultants. Le concept d’affliction, qui dépasse les catégories de « maladie » et de « thérapie », permettait alors d’étudier le malheur comme expérience, et non pas comme état ou classification. De plus, je me suis focalisée sur une population connaissant de nombreux maux dans ce plus récent département français : chômage, précarité, irrégularités administratives, les jeunes se disent souvent « en galère ». Mes observations de pratiques auprès de maîtres et professionnels ont ainsi été complétées par l’ethnographie du quotidien de douze jeunes consultants dans trois quartiers (l’un rural, l’autre semi-urbain, le dernier un bidonville).

Projet de recherche de terrain :

"Jeunesses « en galère » à Mayotte : nouveaux enjeux du soin de l’affliction et de la parenté en situation postcoloniale"
Cette thèse analyse les tensions sociales du plus récent département français, Mayotte, à travers l’étude des afflictions de jeunes personnes. En effet cette tranche d’âge, ayant entre quinze et trente ans, est au cœur des conflits sociaux mahorais : violence, difficulté à trouver un emploi ou une formation due entre autres à la pression démographique, obstacles pour avoir accès au statut d’adulte parfois en lien avec la situation migratoire, etc. Dans une société matri-uxorilocale de filiation indifférenciée, ces tensions se concentrent souvent autour d’enjeux d’héritage et de stratégies d’alliance. Elles se négocient ou se résolvent donc tout d’abord dans le rituel du mariage, qui permet aux jeunes de passer d’un statut d’individu liminaire à celui d’adulte. Un second dispositif, aux dimensions lui aussi initiatiques, rendant possible la résolution de ces tensions est le rituel de possession. Il permet de réinscrire les jeunes possédés dans une filiation indifférenciée tout en ouvrant des espaces de discussions médiatisés par des esprits. Enfin, les différents dispositifs de soin (islam, rituels de possession et associations médico-sociales) révèlent différents paradigmes de traitement – de l’extériorisation du problème à son intériorisation réflexive –, impliquant diverses conceptions de la personne.

Le terrain permis par le prix Ariane Deluz se concentre sur les tensions au sein du système de parenté mahorais qui sont vécues par des jeunes en situation d’affliction. Pour ce faire, cette étude se focalisera sur deux transformations rituelles : celle de l’emphase sur la cérémonie d’entrée dans la maison de la mariée (appelée génériquement manzaraka) qui affirme voire réaffirme l’uxorilocalité, et celle de l’affliction de jeunes hommes par des esprits qui conforte l’héritage indifférencié par la transmission de ces esprits. Ces derniers, en effet, possédaient le plus souvent les ancêtres ou parents féminins de ces jeunes hommes.

Publié le 26 octobre 2020