Postcolonialités, technologies, soins

Ce séminaire examine comment la France d'aujourd'hui est un terrain où se construisent de manière entrecroisée tant une société postcoloniale qu'une société de care.

Le terme care, tiré des débats dans les milieux scientifiques internationaux récemment importés en France, interrogent les dimensions anthropologiques, historiques, philosophiques et sociologiques du soin, entendu dans son sens le plus large comme le souci de soi et l'autre.

Il s'agit d'explorer comment dans la France contemporaine le care est constitué par le postcolonial, et comment le postcolonial est lui même issu du  care.

Ce séminaire se déroulera à travers une série de journées d'échanges thématiques qui exploreront la co-constitution du postcolonial et du care  dans les champs suivants. Chaque journée sera organisée dans un lieu emblématique de la thématique.

  1. L'environnement (mars 2016)

Les questions environnementales ont été largement traitées sans faire référence à leur forte dimension coloniale et postcoloniale. La transformation de l'environnement fut un grand chantier colonial, tant pour des raisons sanitaires qu'économiques et politiques, mais aussi pour assurer le loisir du colon (la chasse). Aujourd'hui, les questions environnementales sont des questions postcoloniales. Par exemple, en France les minorités postcoloniales seraient les plus assujetties aux risques environnementaux, qu'ils soient des déchets toxiques ou des changements climatiques. Plus loin, les Outre-mer sont des lieux d'expérimentation environnementale en allant des essais nucléaires à l'utilisation des pesticides ou aux industries polluantes.

  1. Altérité, sexualité, désir (début juin 2016)

Les conflits qui ont accueilli le mariage pour tous sont symptomatiques des tensions postcoloniales qui émergent de la difficile prise en compte de l'altérité dans la France contemporaine. Sexualité et migration sont le plus souvent traitées sous le signe universalisant de la santé publique et dans les cas des minorités sexuelles du VIH/sida.

Ici il s'agit d'interroger ce que le traitement de la sexualité et de la migration révèle sur la co-construction du care et du désir. Par exemple, la banlieue, entendu comme espace postcolonial par excellence, est celle ou se confronte différentes visions, voir pratiques, de l'homosexualité. Pour les homosexuels membres des minorités postcoloniales, la normalisation de l'homosexualité --  travers la mouvance Gay, le mariage pour tous, etc. -- peut être émancipatoire, alors que pour d'autres cette revendication pose le danger d'un renfermement identitaire ou d'une assimilation à une idéologie intégriste. Transexuels, transgenre, travailleuses et travailleurs du sexe sont aussi touchés par l’intersection entre postcolonialité, racisation, genre, exploitation, stigmatisation.

  1. La clinique postcoloniale (fin juin-début juillet).

De plus en plus, la clinique est devenue un espace où la différence exige d'être reconnue. L'opposition entre un discours culturalisant (par exemple celui de l'ethnopsychiatrie) et un discours universaliste, laïc et "républicain" ne permet pas de gérer des tensions quotidiennes dans les lieux de soins et plus largement dans la question du care. Dans cet atelier il s'agit d'explorer les alternatives qui sont expérimentées dans la clinique pour soigner dans un contexte de différence.

  1. La vie in/dépendante (sept 2016).

L'évolution démographique européenne est marquée par le vieillissement de la population et l'expansion conséquente du besoin de soignants et d'accompagnants -- auxiliaires de vie -- pour les personnes en perte d'autonomie. Par ailleurs, dans la classe moyenne, le recours aux « nounous » noires ou asiatiques fait écho à des pratiques coloniales. Dans les deux cas, il s'agit d'un marché du travail investi largement par des minorités postcoloniales. Cela révèle les dimensions sociales, politiques et matérielles de l'(in)dépendance comme souci de l'autre et souci de soi. Nous proposons de confronter cette dimension de postcolonial care aux perspectives radicales émergentes en Europe du Sud et ailleurs, en temps d'austérité, qui cherche à ré-imaginer être et infrastructure en temps d'austérité (http://tscriado.org/)

  1. Propriété, propreté, sécurité et gardiennage (octobre 2016).

Dans un contexte d'inégalités croissantes, un discours de la sécurité a permis la prolifération de formes de surveillance et de gardiennage dans le but d'assurer la vie quotidienne pour les plus nantis. Paradoxalement, ce sont les minorités postcoloniales qui sont le plus souvent mobilisées pour assurer cette sécurité. Elles sont également davantage appelées dans les travaux de nettoyage des infrastructures de la vie moderne. À travers ces deux tâches, les minorités postcoloniales se trouvent dans une relation de care invisibilisé de la propriété des autres. Il s'agit de s'interroger sur ce que cette vie doit à ce travail invisible et de ce qu'elle révèle sur les dynamiques -- et les dialectiques -- postcoloniales de la dépendance et de l'indépendance.

Ce séminaire réunira chercheurs, praticiens, activistes et militants, et artistes. Nous prévoyons des ateliers dans des lieux de pratique ou de mobilisation, proches des communautés les plus engagées, pour échanger et construire une réflexion sur la décolonisation de la société française.

 

 

Equipe

Le séminaire est animé par Françoise Vergès, chaire "Global South(s)" et Vinh-Kim Nguyen, chaire "Anthropologie de la santé mondiale" au Collège d'études mondiales.

 

Publié le 9 février 2016